Citation : " (...)Viennent ensuite les nourrices (images de la terre nourricière), assises dans un fauteuil d'osier et allaitant  un ou deux enfants. Ce "lien du lait" est unique dans l'Occident romain, et typiquement gaulois." 

Maurice Franc "Les figurines de terre blanche de l'Allier" Bulletin de la Société d'Emulation du Bourbonnais, 1er trimestre 1990

Richou Anne-Marie

Ce texte de Anne-Marie Richou a obtenu

le 3e prix

du Concours de Nouvelles 2019

organisé à Avermes (03000) conjointement par

La Passerelle (médiathèque d'Avermes)

et

L'Atelier Patrimoine de l'Avca.

Mg 8951Photo : Dominique Boutonnet

 

Ce texte est la propriété de son auteur.

Aucune utilisation ne peut être envisagée

sans avoir obtenu au préalable son accord

 

Un texte de  Anne-Marie Richou

 

 

 

Un secret si longtemps gardé

 

 

An 190 après Jésus-Christ

Flavia arriva dans le petit village qu'on lui avait indiqué et se dirigea vers la maison dont la façade était recouverte d'une immense peau d'ours tannée. Elle se sentait fébrile et tentait de se rassurer en se disant que tout allait bien se passer. Elle était partie le matin même de la riche cité qu’elle habitait et avait parcouru une longue distance pour atteindre ce petit hameau, dans le but de consulter, en cachette de sa famille, une devineresse renommée. Elle avait quelque chose à lui demander et n’avait pas voulu perdre un seul instant l’occasion de le faire. Elle frappa à la porte et se tint prête pour l’entretien. La femme qui lui ouvrit était grande et étonnamment jeune pour sa profession. Elle regarda la femme bourgeoise qui était devant elle et lui demanda ce qu’elle désirait. 

« - J’ai fait un rêve cette nuit, un rêve étrange. Je souhaiterais vous le raconter pour que vous m’indiquiez si c’est un bon présage. Une de mes amies a mentionné votre nom et m’a dit que vous étiez réputée dans la région. Je vous paierai un bon prix si vous me recevez. »

La devineresse la regarda un moment puis, après avoir hoché la tête d’un signe d’assentiment, la laissa entrer. Elle la fit s’assoir sur un tas de peaux de bêtes et, ayant pris place devant elle, l’invita à parler. 

« Voilà, commença Flavia, mon rêve se déroule ainsi. Je suis sur une plage, je ne sais pas laquelle, mais, dans mon rêve, elle me semble familière. A un moment donné, je vois arriver un énorme poisson. Il est on ne peut plus étrange : il a une tête de canard, une petite nageoire sur la tête et sa queue se termine par une sorte de trident. Mais je ne suis pas étonnée par son apparence, comme si je le connaissais depuis très longtemps. Petit à petit, il se rapproche du rivage et m’invite à monter sur son dos. Une fois de plus, je ne suis pas surprise par ce qui arrive et accepte la proposition. Je m’installe délicatement sur mon hôte et celui-ci se met à nager tranquillement au-dessus de l’eau, tout en faisant attention à ne pas me faire tomber. Je me sens merveilleusement bien. Je me dis même que je ne me suis jamais sentie aussi bien. Hélas ! Tout se termine soudain et je me retrouve à nouveau dans ma chambre à coucher. Mon amie m’a dit que vous seule seriez capable d’analyser mon rêve et de m’aider à comprendre ce qu’il signifie. »

La devineresse réfléchit un moment et, après avoir pris des osselets dans la main, les jeta sur un grand plat, tout en ânonnant des paroles inintelligibles. Avec application, elle regarda la représentation des osselets puis indiqua à Flavia que ce qu’elle avait vu en rêve était une image de son futur.

« Il va vous arriver quelque chose de très positif, ajouta-t-elle.  Il faut absolument que vous alliez trouver un artiste dont je vais vous donner le nom et lui demander de représenter votre rêve, sous forme de figurine. Une fois l’œuvre achevée, vous devrez la placer dans un lieu secret, béni des dieux, que je vais vous indiquer et que vous ne devrez dévoiler à quiconque. Une fois tout ceci accompli, un grand bonheur vous arrivera, à vous et à votre famille. »

Après avoir reçu le nom de l’artiste et l’emplacement du lieu secret, Flavia comprit que l’entretien était terminé. Elle donna à la devineresse la somme qu’elle lui demandait et sortit de la maison. Heureuse du résultat de l’entrevue, elle ne s’attarda pas dans ce lieu étrange et reprit d’un pas alerte la direction de son habitation.

L’artiste contacté commença immédiatement son travail, heureux d’avoir une commande d’une telle importance. Mais, quand Flavia vint le trouver le lendemain pour évaluer sa progression, il lui indiqua qu’il avait du mal à travailler, comme si une force incroyable l’en empêchait. La figurine, d’après lui, ne devait pas être créée car elle n’allait amener que des malheurs. Flavia lui rétorqua que ce n’était que des enfantillages et le pressa de terminer son œuvre, lui promettant des sommes colossales s’il le faisait dans le temps imparti. A contrecœur, l’artiste acheva la figurine et la livra à son commanditaire. Il reçut l’argent qu’on lui avait promis mais ne put se résoudre à le conserver. Il en fit cadeau à une femme sans ressources de son voisinage et partit se saouler à l’auberge, pour oublier toute l’histoire.

Pendant ce temps, Flavia, suivant les recommandations de la devineresse, se rendit sur le lieu secret et plaça la figurine à l’endroit requis. Elle vérifia que personne n’avait vu son geste, puis rentra chez elle, rejoindre les siens. La nuit suivante, elle fit un affreux cauchemar. Le début avait commencé comme dans son rêve mais par la suite le poisson si tranquille se transforma en monstre horrible qui la dévora. Elle se réveilla en transpiration et eut du mal à se défaire de l’image qui l’avait affolée. Elle décida d’aller retirer la figurine de l’endroit où elle l’avait déposée mais quand elle arriva sur les lieux, celle-ci avait disparu. Mue par un affreux pressentiment, elle entreprit de retrouver l’artiste qu’elle avait engagé mais apprit qu’il avait été retrouvé mort, quelques heures plus tôt, derrière l’auberge qu’il avait l’habitude de fréquenter. Bien que les personnes, ayant découvert son corps, semblaient indiquer qu’il était mort de façon naturelle, Flavia ne put s’empêcher de trouver les circonstances très mystérieuses et rentra chez elle avec un profond sentiment de malaise. Bouleversée par ce qu’elle avait appris, elle refusa de diner et partit immédiatement se coucher. Le lendemain, un de ses domestiques la retrouva morte près de son lit. Le patricien qui l’examina déclara que sa mort était naturelle et l’affaire en resta là.

 

De nos jours

Le cœur battant, Joël et Sophie examinèrent la tombe qu’ils venaient de découvrir et qu’ils s’apprêtaient à ouvrir. Ces archéologues passionnés travaillaient depuis plusieurs semaines sur ce site situé au nord de Clermont-Ferrand sans trouver de chose digne de leur intérêt quand, tout à coup, sans vraiment la chercher, ils venaient de découvrir cette merveille de l’époque gallo-romaine. Ils avaient rassemblé la plupart des membres de leur équipe et tous attendaient impatiemment qu’elle dévoile ses secrets. Après que la partie supérieure de la tombe ait été soulevée et déposée en toute sécurité sur le côté, toutes les têtes se tournèrent vers l’intérieur de l’édifice. A leur grande satisfaction, ils découvrirent une momie de femme, magnifiquement conservée et portant des habits d’apparat. Incroyablement, elle semblait encore vivante et il était difficile de se dire qu’elle n’était pas qu’endormie. Joël fit transporter le corps vers la chambre froide et demanda à un des membres de son équipe, expert en la matière, de pratiquer une autopsie.

Quand il vint aux nouvelles quelques heures plus tard, il fut étonné par le visage de son assistant qui semblait être plongé dans une grande perplexité. Il lui demanda ce qui se passait et dut attendre quelques minutes que l’autre ait retrouvé son calme pour commencer son exposé :

« La momie qu’on a trouvée est très étrange sous certains aspects. Déjà, elle est extrêmement bien conservée pour les moyens de l’époque. Je ne sais pas quels matériaux ils ont utilisés, mais le résultat est parfait. Ensuite, il y a quelque chose de bizarre concernant le corps. C’est celui d’une femme qui, d’après la consistance de sa peau, semble être morte très jeune, même pas vingt ans, mais d’après celle de ses os, en aurait eu au moins cent cinquante. Oui, je sais, rajouta-t-il en voyant le regard étonné de son chef, Cela semble incroyable mais c’est bien la vérité. »

Joël, pour en avoir le cœur net, décida de faire appel à deux experts renommés dans l’analyse des corps retrouvés sur les sites archéologiques et leur demanda une contre-expertise. Mais tous deux n’eurent pas à étudier le corps bien longtemps pour arriver à la même conclusion : le corps était jeune et vieux à la fois.

A côté de la momie, avait été trouvée une figurine, représentant une femme, assise sur le dos d’un poisson géant, en état de plénitude extrême. Joël se mit à étudier cette représentation pendant plusieurs jours et déposa le résultat de ses recherches sur le serveur de partage de données du monde archéologique. Il indiquait que si quelqu’un avait des informations concernant cette figurine et ses origines, il serait heureux de recevoir cette personne et de discuter avec elle. Le temps passa sans que personne ne se manifeste jusqu’au jour où un homme arriva sur le site et demanda à rencontrer l’équipe qui avait trouvé la momie. Quand Joël fut informé, il se présenta au nouveau venu et l’accueillit aimablement dans son bureau. Il le fit s’assoir et s’apprêta à écouter son histoire.

« Voilà ! commença l’homme qui lui faisait face, je me suis toujours beaucoup intéressé à la période gallo-romaine et surtout au mélange de croyances qui en   a résulté. J’ai découvert que, pas très loin d’ici, dans le village de Copour, les deux populations, gauloise et romaine, se sont mixées de façon presque naturelle et que la population résultante a décidé de créer ses propres croyances. Il semblerait que cette nouvelle peuplade ait voulu garder ses divinités secrètes car ces dernières n’ont jamais été retrouvées à d’autres endroits. Je les ai étudiées méticuleusement pendant de longues années et puis vous dire que l’une d’entre elles a la même représentation que celle de la figurine. Cette divinité s’appelle Arkafis. C’est une déesse très puissante représentée sous la forme d’une femme couchée sur le dos d’un animal sacré, un farcal : poisson étrange pouvant se déplacer sur l’eau. J’ai trouvé des informations liées à cette divinité qui disaient que quiconque possédait une figurine de la déesse qui avait été créée à partir du rêve d’une élue pourrait vivre extrêmement longtemps sous les apparences d’une très jeune fille. Il semblerait que le nouveau peuple ait décidé de conserver cette information secrète, quitte à supprimer toutes les personnes qui seraient trop proches de la vérité. Même l’élue elle-même devait disparaître, si elle ne faisait pas partie de la nouvelle tribu. »

L’homme arrêta son récit et demanda de pouvoir étudier de près la figurine. La tenant dans ses mains, il analysa chaque parcelle de l’œuvre et se rendit compte tout à coup que la partie au niveau du socle était creuse et qu’une ouverture avait été scellée à cet endroit. Avec un couteau, il débloqua l’orifice et fit glisser sa main à l’intérieur de l’objet. Avec précaution, il sortit ce qui s’y trouvait, ce qui s’avéra être un vieux parchemin. Il le déplia délicatement et retranscrit sur une feuille de papier les mots qui y étaient apposés. 

« Ces mots sont dans le langage créé par le nouveau peuple de Copour. J’ai amené tout mon matériel pour pouvoir le déchiffrer et vais me mettre immédiatement à la tâche. »

Après plusieurs heures d’un travail minutieux, il demanda à voir Joël et lui indiqua qu’il avait réussi à déchiffrer le message. Il commença alors sa lecture :

« Moi, prêtresse de la déesse Arkafis. J’ai trouvé une femme qui a fait le rêve sacré. Elle ne savait pas que par son rêve elle devenait l’élue du sacrifice suprême. Sur ma directive, elle a fait représenter son rêve par un artiste de mon choix et a déposé la figurine où je le lui ai ordonné. Sur la demande de ma déesse sacrée, j’ai exécuté la femme et l’exécuteur de la figurine. Leur sacrifice était nécessaire pour le respect de notre secret. Et, grâce à eux, je vais pouvoir vivre une longue vie au service de ma déesse toute puissante. Je protègerai le secret de son existence et, s’il le faut, je tuerai à nouveau pour conserver notre anonymat. Je vais insérer ce message à l’intérieur de la figurine et conserverai cette dernière pour toujours auprès de moi. »

Les deux hommes se regardèrent d’un air interloqué puis portèrent leur regard sur la figurine, liée à de si terribles destins.

 

FIN

 

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