Citation : " (...)Viennent ensuite les nourrices (images de la terre nourricière), assises dans un fauteuil d'osier et allaitant  un ou deux enfants. Ce "lien du lait" est unique dans l'Occident romain, et typiquement gaulois." 

Maurice Franc "Les figurines de terre blanche de l'Allier" Bulletin de la Société d'Emulation du Bourbonnais, 1er trimestre 1990

P C CHLOE

 

Texte : P C Chloé

Famille ?

 

Venus protectrice photo dominique boutonnet 

 

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Une petite ferme entourée de champs à l’extérieur de la ville, c’est ainsi que Waya avait imaginé le paradis. Cela faisait presque vingt ans qu’elle y recueillait des enfants. Ces enfants, ils avaient tous été rejetés : soit par leurs parents, soit par le système. Ils avaient été abandonnés, jetés à la rue comme des déchets. Mais Waya ne les avait pas laissés pour compte, elle les avait accueillis, leur avait offert un toit, un repas et une éducation. Pour ces orphelins, elle était la seule mère qu’ils connaissaient.

*****

Un cri de bébé retentit dans la chambre et des larmes coulèrent des yeux de la mère. – « - Prenez-le, je ne peux pas le garder, dit-elle en détournant le regard face à l’enfant qui venait de naître.

- Vous êtes certaine de ne pas vouloir revenir sur votre décision madame ? répondit la sage-femme.

- Oui, je suis sûre. Je ne peux vraiment pas le garder. Confier le à une famille qui saura s’en occuper.

 - Ce sera fait madame.

La femme de chambre sortit de la pièce pour laisser la femme se reposer. Elle emmena l’enfant dans une autre pièce pour le laver. Elle le tenait avec autant de délicatesse que la porcelaine de sa patronne. Elle avait tellement peur de lui faire mal.

« - Oh ! Mais tu es une petite fille. Bienvenue, dit la femme de chambre à l’enfant. Comme réponse, il n’y eut que le barbotement de l’eau et le craquement du bois dans la cheminée. La femme de chambre plongea son regard dans celui de la fillette et celle-ci lui esquissa un petit sourire. Elle la sortit de l’eau, la langea et monta dans sa chambre avec l’enfant dans les bras. Elle redescendit une demi-heure après avec sa valise dans une main et la fillette dans l’autre. Avant de passer le pas de la porte, elle déposa une lettre sur le comptoir de l’entrée à destination de sa patronne. La femme de chambre prit une calèche publique en centre-ville pour quitter la ville en direction de la ferme de ses parents. Après le trajet, elle put enfin déposer ses maigres bagages et allumer un feu dans le vieil âtre. Elle s’installa sur la chaise devant la cheminée avec la fillette sur les genoux.

« - Je ne pouvais pas te laisser aller dans un orphelinat. Crois-moi, c’est pas un bel endroit pour les enfants de ton âge. Tu vas rester avec moi ici. »

Elle jeta un œil autour d’elle et ajouta :

« - Je ferai le ménage demain, la ferme est inhabitée depuis la mort de ma mère. Ne t’en fais pas, tu vas être bien ici. Oh, mais j’y pense, je ne me suis même pas présentée. Je m’appelle Waya. Et toi, je vais t’appeler... Élisa ! Ça te va ? »

Comme seule réponse, Waya obtint un regard insistant de la part d’une paire d’yeux gris.

« - Je vais prendre ça pour un oui ! »

*****

« - Élisa ! Où es-tu ? cria Waya depuis le salon.

- Elle est partie avec le cheval, répondit une petite voix provenant du fond de la pièce.

- Quelle tête de mule celle-là, se dit Waya à elle-même.

A l’autre bout du champ de blé, sur le sentier qui allait vers la ville, Élisa galopait à vive allure. Le bruit des sabots de Tunder aurait couvert n’importe quelle voix à proximité, alors c’est sûr qu’elle ne pouvait pas entendre celle de sa mère. Élisa adorait ces longues balades à cheval, les cheveux au vent. La poussière qui formait une fumée derrière elle lui faisait croire que rien ne pouvait l’arrêter. Elle tira sur les rênes de Tunder et regarda derrière elle. Le soleil était déjà bien bas, il était temps de rentrer si elle ne voulait pas se faire gronder. Elle tapota sur l’encolure du cheval et ils firent demi-tour : c’était fini pour aujourd’hui. Sur le chemin du retour, elle s’arrêta près des arbres fruitiers. Jake, Fanny et Lisa étaient en train de jouer aux aventuriers.

« - C’est l’heure de rentrer, leur dit-elle.

- Déjà ? répondirent en chœur les trois gamins.

- Oui, Waya a fait une tarte aux pommes ce soir. Allez, on y va. Où est petit Sam ?

- Il est dans l’écurie avec Altia, répondit Jake.

Arrivée à l’écurie, elle descendit de cheval et amena Tunder dans son box. Elle était en train de lui enlever ses rênes quand Sam apparu à la porte du box :

« - C’était bien ta balade ?

 - Tu m’as fait peur, je t’avais pas vu ! Oui c’était très bien

- Quand est-ce que tu m’apprendras à monter à cheval ?

 - Quand tu auras 10 ans, comme pour Jake, Lisa et Fanny. Je te l’ai déjà dit cent fois au moins.

 - Mais c’est dans trop longtemps, répondit Sam en râlant.

- C’est dans deux mois, tu n’as plus beaucoup de temps à attendre. Allez viens, on rentre sinon Waya va nous gronder. »

La nuit commençait à tomber et les lumières des maisons à s’allumer. Au milieu des champs, à l’écart de la ville et des bruits des commerces, tout avait l’air calme dans la petite maison de Waya. Ceci, c’est ce qu’un passant aurait dit, mais la vérité était très différente. Au milieu du salon, une grande table en bois siégeait. Elle était garnie des restes du repas que Waya avait préparé, de carafes d’eau et de bouquets de fleurs des champs. Autour de cette table, ils étaient tous là, tous les sept : Élisa, les cinq orphelins, et l’ange qui les avait recueillis. Élisa veillait sur ses frères et sœurs comme s’ils étaient tous du même sang. Pourtant, tout le monde savait qu’elle était la seule fille biologique de Waya. Jack, quinze ans, était en charge des marchés. Il allait en ville pour vendre les légumes et les fruits et acheter ce qu’il leur manquait. Ses deux sœurs, Lisa et Fanny, quatorze et treize ans, l’accompagnaient parfois. Ça leur permettait d’échapper aux tâches ménagères. Sam n’avait pas encore l’âge de se rendre en ville. Il était encore un « petit garçon » mais avait vraiment hâte de pouvoir suivre ses grands frères et sœurs au lieu de surveiller les petits. Les petits, c’était Luna et Vic, âgés de six et cinq ans. Waya les avait trouvés tous les deux sur le pas de sa porte un matin de printemps. Depuis, ils vivaient avec cette nouvelle famille qui les avait bien accueillis

« - C’est bon, vous pouvez sortir de table, lança Waya à la foule d’yeux qui la regardait. Jake et Lisa, vous vous occupez du bain de Luna et Vic, et Élisa, tu m’aides à débarrasser s’il te plaît. »

Lorsque Élisa et Waya eurent fini de faire la vaisselle. Waya alla s’asseoir à la table et lui dit :

« - Élisa, maintenant qu’on est que toutes les deux, je voudrais te parler.

- Oui ?

 - Voilà, dans quelques jours tu auras dix-huit ans et je ne veux plus garder ce secret plus longtemps. Viens t’asseoir avec moi.

 - Qu’est-ce qu’il se passe ? répondit Élisa en s’asseyant près de sa mère.

- Je vais te raconter une histoire, l’histoire d’une petite fille. »

 Elle lui raconta l’époque où elle travaillait comme bonne dans une maison bourgeoise du centre-ville, lui décrivit la nuit de sa naissance et le début de sa vie avec elle. A la fin du récit, il y eût un long silence qui parut interminable. Il n’y avait aucun bruit dans la maison. Les autres enfants étaient tapis dans l’escalier à espionner la conversation entre les deux femmes. Ils ne bougeaient pas d’un pouce pour éviter de se faire remarquer.

« - … Je… J’ai besoin de prendre l’air, répondit Élisa. Elle se leva, prit son manteau et sortit de la ferme en claquant la porte. Waya prit sa tête entre ses mains. La disparition de ce poids qui pesait depuis si longtemps sur ses épaules fit naître quelques larmes au coin de ses yeux.

*****

La lune était maintenant haute dans le ciel. Élisa était assise en tailleur sur un rocher et observait le reflet de la lune qui ondulait au fil du courant. Altia broutait tranquillement à côté d’elle. Elle ne comprenait pas tous les sentiments qui se bousculaient dans la tête de la jeune femme. Elle était en colère. En colère contre cette femme qu’elle pensait connaître comme sa mère. En colère contre cette femme qui a été sa mère pendant neuf mois mais qui l’a abandonnée au bout de quelques minutes dans ses bras. En colère contre elle-même car elle se sentait honteuse de penser qu’être orphelin était une fin en soi. Honteuse de penser que sa vie ne valait rien alors que ses frères et sœurs de cœur étaient dans la même situation qu’elle. Honteuse de donner trop d’importance à ce titre social « mère » alors qu’elle savait, au fond d’elle-même, que Waya avait mérité ce titre plus que celle qui l’avait mise au monde. Elle était divisée. Divisée, entre ces deux mondes… Elle pensait aussi à Waya. Elle qui lui avait caché ce secret pendant si longtemps.  Mais pourquoi ce long silence ? Est-ce qu’elle ne la pensait pas assez forte pour comprendre ? Est-ce qu’elle la protégeait ou bien la forçait à oublier son passé ? Altia s’avança vers Élisa et posa sa tête sur ses genoux comme pour tenter d’apaiser cette tempête de questions qui la bouleversait. Élisa caressa le museau du cheval et se releva. Il était temps de rentrer.

La porte s’ouvrit doucement et Élisa entra dans la maison. Les autres enfants étaient partis se coucher depuis quelques temps déjà et le silence régnait dans le salon. On entendait seulement le crépitement des flammes sur le bois légèrement humide de la cheminée. Waya était assise devant l’âtre enveloppée dans une couverture. Elle attendait que sa fille fasse le premier pas, elle ne voulait pas la brusquer. Élisa s’approcha de la vieille femme et s’assit à ses côtés. Elle entoura ses épaules de ses bras et déposa un baiser sur son front.

« - Merci de me l’avoir dit.

- Je suis désolée d’avoir gardé le secret si longtemps, mais je ne savais pas comment te l’annoncer et j’avais peur de ta réaction. Désolée d’avoir été si égoïste, répondit Waya au bord des larmes.

- J’ai compris maman, ne t’en fais pas. » Élisa posa sa tête sur l’épaule de sa mère et ferma les yeux. Des petites larmes coulèrent le long de ses joues mais elle allait mieux.

*****

- Fais attention à toi sur le chemin. Je t’ai donné de quoi vivre quelques semaines mais si tu as besoin de plus, va à « La vache qui fume ». Le propriétaire est un ami d’enfance, il t’engagera comme serveuse.

- Merci maman, ne t’en fais pas, ça va aller, répondit Élisa.

- Bonne route ma fille !

- A bientôt Élisa ! crièrent les enfants.

Élisa fit avancer Tunder au pas et se retourna pour dire au revoir à Waya et ses frères et sœurs. Ils étaient tous réunis autour de leur maman et faisaient de grands signes à leur sœur aînée.

Depuis qu’Élisa avait appris que sa mère biologique n’était pas Waya, elle avait décidé de faire ce voyage pour retrouver ses parents. Elle avait attendu quelques jours après son anniversaire et avait récupéré toutes les informations que Waya possédait sur la maison où elle avait travaillé et la famille d’Élisa. Ce matin-là, elle partait en direction de la ville de ses parents en laissant derrière elle tout ce qu’elle avait connu. Elle ne savait pas encore si elle reviendrait. Elle n’avait pas réussi à aborder ce sujet avec Waya, elle avait trop peur qu’elles se mettent à pleurer.

*****

- Maman, elle revient quand Élisa ? demanda Sam.

 - Je ne sais pas... Tu sais, elle ne va peut-être pas revenir, lui répondit Waya.

- Si elle va revenir, elle m’a promis que quand j’aurais dix ans elle m’apprendrait à monter à cheval. Et mon anniversaire, c’est demain !

- Je sais mon chéri, mais Élisa est une femme maintenant et si elle veut partir, il faut l’accepter.

 - Mais, mais… bredouilla Sam au bord des larmes.

- Petit Sam ! cria une voix au loin.

Sam et Waya se retournèrent en direction de la voix. Élisa était juchée sur Tunder au bout du sentier menant à la maison.

- Tu viens ? Il faut que je t’apprenne à monter à cheval ! S

Sam sauta des genoux de Waya et courut vers Élisa : elle ne l’avait pas oublié. Waya sourit en la voyant heureuse de revoir ses frères et sœurs. Le soir, au coin du feu, Élisa raconta son voyage à sa mère : elle avait retrouvé ses parents et les avait vus heureux dans leur grande maison. Cela lui avait fait mal.

Après quelques semaines, elle avait réalisé que la famille c’est plus qu’un nom sur un bout de papier et que, sans l’abandon de cette femme, elle n’aurait jamais rencontré la sienne de famille.

Waya l’enlaça et elles se mirent à pleurer… mais cette fois, de joie.

 

FIN

Date de dernière mise à jour : 19/10/2018

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