Citation : " (...)Viennent ensuite les nourrices (images de la terre nourricière), assises dans un fauteuil d'osier et allaitant  un ou deux enfants. Ce "lien du lait" est unique dans l'Occident romain, et typiquement gaulois." 

Maurice Franc "Les figurines de terre blanche de l'Allier" Bulletin de la Société d'Emulation du Bourbonnais, 1er trimestre 1990

DAYRIES Simone : Les pouvoirs d'Abellia

En 2021, le jury du Concours de Nouvelles d'Avermes

a classé ce texte intitulé

Les pouvoirs d'Abellia,

écrit par Simone DAYRIES

à la 11e place.

 

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Ce texte est la propriété exclusive de Simone Dayries.

Nulle utilisation n'est autorisée sans son accord préalable

Texte de Simone  DAYRIES

 

Les pouvoirs d’Abellia

Dernièrement, me rendant à la médiathèque, mon attention s'est portée sur un livre relatant l'histoire au temps des gallo-romains avec force anecdotes. Après l'avoir feuilleté, je me trouve face à une biographie qui m'a particulièrement émue. Comment a-t-elle pu traverser les âges ? Je n'en ai aucune idée, mais elle est véridique d'après l'auteur.

Le récit se passe dans les années cinquante de notre ère, dans un petit village de l'Allier.

Nous nous trouvons dans un bourg où le métier de potier domine depuis quelques décennies. Leur renommée va grandissante de par leur savoir-faire mais aussi par la qualité de l'argile exceptionnellement blanche qu'ils utilisent. L'un de ces artisans s'appelle Abellius. Ce jour-là, il chantonne dans son atelier tant il est heureux.

En ce matin de printemps ensoleillé, il est devenu père d'une petite Censilla. Il faut dire qu'elle arrive après la naissance de quatre garçons. Aussitôt, pour elle, il envisage de créer une figurine originale et unique qui, il en est persuadé, lui apportera bonheur et chance tout au long de sa vie... Mais que représenter ? Forcément une jeune fille mais pas seulement... Comment l'enrichir ? Perdu dans ses réflexions, il aperçoit dans le pré voisin au milieu des pâquerettes et des pissenlits, un bébé lapin. Il gambade tranquillement. Notre homme est surpris par tant d'imprudence. Si inexpérimenté et déjà si hardi dans cet environnement sauvage ! Cette petite boule de poils symbolise la douceur, tout ce dont un petit enfant a besoin. Notre potier le suit des yeux et se représente alors le sujet. Aussitôt il se met à l'ouvrage, pressé de mener à bien sa tâche afin d'en faire présent à son enfant, bien qu'un peu jeune pour en profiter. Il n'a pas de moule puisqu'il est le premier à fabriquer ce motif. Heureusement, de l'argile est déjà décantée, il peut passer directement â la création. L'auteur précise que ce père, avide de terminer, a jeté beaucoup d'archétypes avant de parvenir à la perfection. Ce buste représente tout ce qu'un visage peut exprimer de délicatesse, la blancheur de la terre rehausse encore cette expression. La tête de ce visage juvénile, légèrement inclinée, étreint un lapin qui semble se reposer entre ses mains.

Après le séchage qui dure plusieurs jours, suivi de la cuisson, sans oublier le refroidissement, Abellius finit par ramener son présent auprès de celle à qui il est destiné. Alors qu'il le dépose auprès de Censilla. Son épouse lui dit :

« - Il faut que nous fassions un vœu pour ce premier spécimen.

- Tu as raison, niais quel souhait ?

- Ce dont elle aura le plus besoin sera la santé.

- Je vais la mettre auprès d'elle. Plus tard au cours de sa vie elle lui portera chance si notre vœu se réalise.

Les pages du calendrier s'envolent petit à petit. L'historien dit que pas un jour elle ne se sépare de sa délicate poterie. Elle prend mille et une précautions ayant appris dès son plus jeune âge la fragilité de la pièce.

Pourtant, un matin d'été, le joli buste ne se trouve pas auprès d'elle à son réveil. Toute la maisonnée se met à chercher. Ces quatre frères bien plus grands sont mis à contribution. Point de statuette à laquelle elle a donné dès qu'elle a su parler le nom d'Abellia, petit clin d'œil au prénom de son père. La recherche intense dure plusieurs jours.

Au cours du temps, le père remarque que sa fillette se contente de grignoter de temps en temps tout comme le petit lapin. De même sa voix s'est éteinte. Plus aucune parole n'ose traverser la barrière de ses lèvres devenues si pâles. Son sommeil par contre devient très profond, difficile de la réveiller au petit matin. Il pense que doucement la tristesse envahit le cœur de cet enfant. Il ne peut pas supposer qu'il en soit autrement. Les fils sont contraints de continuer la quête. Les jours passent, l'état de santé de Censilla s'aggrave. La petite fille dépérit, ses joues se creusent. Elle est si faible qu'elle titube en marchant. Les parents font appel au meilleur médecin. Celui-ci détecte à la grande surprise un trouble de la vision. Ce savant leur explique que cela doit la gêner pour se diriger, sa vue se réduisant. Il leur déclare même que ce souci entraîne chez la jeune enfant une forme de dépression. Elle s'enferme sur ce problème, évitant de le révéler. Il leur conseille de se rendre chez le meilleur ophtalmologiste Zmaragdus à Lugdunum qui saura établir le diagnostic.

Tôt le lendemain matin, le père quitte son village emmenant avec lui son enfant. Ils voyagent grâce à une charrette à quatre roues sur des routes jalonnées d'auberges. Ils préfèrent se reposer chez quelques amis potiers. Enfin à destination, ils doivent attendre plusieurs heures avant d'être appelés auprès du médecin. Abellius est impressionné devant le savoir de cet homme fort gentil au demeurant mais peu bavard. L'ophtalmologiste prescrit des cachets à collyres sans mentionner la raison de ce mal. Mais cela importe peu à notre homme. Ils reprennent le chemin du retour. La petite fille très fatiguée par ce long voyage s'endort dès son arrivée. On doit la réveiller pour lui instiller les gouttes, sans difficulté, l'enfant se prêtant bien aux soins. Elle reste couchée plusieurs jours.

 Au cours de son repos elle voit réapparaître sa petite compagne, un après-midi d'août, après la sieste. Le lendemain elle décide de se lever, part même se promener tenant dans ses bras son objet fétiche. Ses parents sont persuadés que c'est bien Abellia qui est la raison de son rétablissement, non les médicaments. Comment voir les choses différemment puisque aussitôt la statuette revenue, la vigueur a rejoint le cœur de Censilla.

On apprendra bien plus tard que cette disparition était l'œuvre de son plus jeune frère. Celui-ci avait dissimulé l'objet simplement par pure jalousie. Puis, se sentant responsable de la maladie de sa sœur, il décida donc de la lui restituer

Les années défilent ainsi dans la douceur. Abellius crée des moules afin de fabriquer beaucoup de petites cousines à Abellia dans cette argile blanche. Il précise à chaque client qu'elle a une particularité, à savoir un porte-bonheur mais, plus particulièrement, elle guérit les maladies des yeux. Aussitôt cette nouvelle fait le tour de la région. On vient de partout afin d'acheter ce bibelot si précieux.

Vient un jour où Censilla fait la connaissance d'un jeune homme qui ne tarde pas à devenir son époux. C'est un mariage précoce. Elle quitte la famille un peu triste malgré son nouveau bonheur en abandonnant Abellia au fond d'un tiroir de sa chambre. Les printemps se sont succédés mais, au grand désespoir du jeune couple, aucun bébé ne pointe le bout de son petit nez.

Encore une fois les parents sortent de sa retraite la petite statuette et conseillent à la jeune femme de la garder auprès d'elle car cette figurine lui a toujours porté chance. La jeune femme s'empresse de s'exécuter. Au bout de deux ans un joli petit garçon arrive dans la moiteur d'un soir d'automne. Chacun est ravi per cet évènement. Dès lors Abellius n'oublie pas de rajouter que ce buste devient aussi symbole de fécondité. Alors toujours plus de commandes affluent. Ce petit homme modeste apprécie ce surplus de travail autant que l'argent qu'il peut en recevoir. Il adore son métier et tout autant de soulager le malheur des autres. Il travaille tard le soir pour honorer ses commandes.

Ainsi les saisons s'effilochent, les années avec.

A l'aube de ses vingt ans Censilla ressent une grande fatigue assortie de difficultés respiratoires. Son époux sollicite le meilleur médecin. Celui-ci lui prescrit la pose de ventouses, des saignées, des purges ainsi que quelques médicaments ayan cours à cette époque. Rien ne semble la soulager.

Ses parents, prévenus, s'empressent de dire au jeune homme de bien veiller à ce qu'Abellia soit présente jour et nuit auprès de la malade. Ils en sont persuadés, la guérison viendra grâce à ce simple geste sous quelques jours, peut-être même le lendemain.

Malheureusement Censilla s'éteint un triste soir d'hiver alors qu'au dehors tombe la neige. La famille sombre dans le désespoir. Aussitôt le père casse la statuette en morceaux pour évoquer cette vie trop brève. Censilla partie, Abellia n'a pas d'autres fonctions et ne peut être donnée. On pose les débris tout autour de cette jeune maman et, enveloppés dans un linceul ils reposent ensemble pour l'éternité.

Désormais Abellius ne fabrique plus de petites cousines à Abellia. Il se contente de produire des statuettes communes.

L’histoire précise que, pour ceux qui ont porté, pour des raisons non définies, cette argile à leurs lèvres, domine le goût salé des larmes.

Date de dernière mise à jour : 23/10/2021

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