Citation : " (...)Viennent ensuite les nourrices (images de la terre nourricière), assises dans un fauteuil d'osier et allaitant  un ou deux enfants. Ce "lien du lait" est unique dans l'Occident romain, et typiquement gaulois." 

Maurice Franc "Les figurines de terre blanche de l'Allier" Bulletin de la Société d'Emulation du Bourbonnais, 1er trimestre 1990

POTTERIE Bernadette : Histoire du lapin Carissimus et de deux pedtites filles.

En 2021, le jury du Concours de Nouvelles d'Avermes

a décerné à ce texte intitulé

Histoire du lapin Carissimus et de deux petites filles

écrit par Bernadette POTTERIE

le 3e prix.

fillette au lapin photo d Boutonnet 

 

 

 

Ce texte est la propriété exclusive de Bernadette Potterie.

Nulle utilisation n'est autorisée sans son accord préalable

Texte de Bernadette POTTERIE

          Histoire du lapin Carissimus

                                     et de deux petites filles.

« Oleum... liquamen... piper... lepus... »

Coquus, le cuisinier de Lucius T. énumère à haute voix les ingrédients qui lui seront nécessaires pour préparer le « Leporem elixum » d'Apicius, l'un des plats que son maître, un riche Coriosolite, compte offrir à ses invités.

Parvula, la petite esclave, occupée à allumer le feu, tressaille en entendant le mot « lepus ». Elle sait qu'on peut remplacer, dans cette recette, le lièvre par un lapin. Or il y a un seul lapin actuellement bon à manger dans le clapier : « Carissimus », son lapin chéri. C'est elle qui s'en occupe depuis toujours, le nourrit, le câline.

Quand le cuisinier lui commande d'aller chercher le lapin, elle n'est donc pas étonnée mais elle pâlit, se précipite dans la pars rustica, saisit Carissimus et se précipite hors de la villa.

Instinctivement, elle se dirige vers le port. Un bateau est en partance. Elle y monte et se pelotonne dans un coin. Quand on découvre la fillette, le bateau a déjà gagné la pleine mer. Va-t-on la jeter par-dessus bord ? Va-t-elle subir de mauvais traitements de la part de ces rudes marins ? Heureusement le capitaine, qui jouit d'une forte autorité, la prend sous sa protection ; il a une petite fille du même âge.

Parvula surveille Carissirnus car il ne faut pas que les marins en fassent leur déjeuner. II ne faut pas non plus qu'il excite leur colère. Les marins n'ont jamais admis les lapins ni les autres rongeurs sur les bateaux : ils s'attaquent aux cordages, pièces de bois, provisions... Parvula le cache et le nourrit comme elle peut, en prenant sur sa propre part.

Le protecteur de l'enfant sait qu'il ne pourra pas la garder indéfiniment à bord. Lors d'une escale, il la confie à des amis. Il explique à Parvula qu'avec eux Carissimus ne risquera rien : ils sont Juifs et, d'après la Loi de Moïse, ils ne mangent pas de lapin, considéré comme un animal impur. « - Impur, Carissimus ?  s'indigne la fillette, mais si cela doit lui sauver la vie... ». Elle éprouve donc une certaine gratitude pour ce dieu des Juifs. Elle est, par contre, réticente à l'égard des dieux romains et en particulier de Jupiter car elle en a vu des représentations, sous sa forme d'aigle et s'attaquant à un lièvre... ou à un lapin.

Parvula passe donc quelque temps chez les amis du capitaine. Mais Carissimus prend de l'âge. Les lapins ne vivent pas très vieux. Il finit par mourir.

La santé de la fillette, déjà fragile, se dégrade encore avec la mort de son compagnon chéri. Elle le suit de peu. Ses hôtes, compatissants, l'enterrent dans la même tombe que son lapin.

*

* *

Madame Figlina, professeur de latin dans les Côtes d'Armor, s'éveilla en sursaut. Quel cauchemar ! Quel rêve bizarre ! Avec son esprit très rationnel, elle se demanda ce qui avait pu faire naître un songe si étrange.

Elle pensa aussitôt à sa fille Sophie qui, le midi même, avait refusé de manger du lapin à la cantine. Depuis qu'elle avait obtenu de ses parents d'avoir un lapin nain, plus question pour elle de manger du lapin !

Elle songea aussi au livre que ses élèves avaient présenté récemment, en exposé, sur les animaux sacrés dans les religions anciennes (romaine, grecque, juive...).

Et puis elle évoqua les histoires de lapins et autres rongeurs, redoutés des marins, qu'on racontait dans le pays de Saint-Malo.

Enfin elle se rappela avoir lu tout récemment dans le journal local qu'on avait découvert à Aulnat, dans le Puy-de-Dôme, une tombe d'enfant du début du 1er siècle ; près de l'enfant on avait trouvé un squelette de chien avec collier et clochette.

Ayant trouvé des explications à son étrange rêve, Madame Figlina, satisfaite, se rendormit. Mais voilà qu'il reprit...

*

* *

Cette fois on est dans la maison de Lucius T. Il a une fille de l'âge de Parvula, Lucilla.

Les deux fillettes étaient amies et jouaient souvent ensemble avec Carissimus, du moins quand la petite esclave n'était pas prise par les travaux de la maison.

La disparition de la fillette et du lapin a plongé Lucilla dans une profonde dépression. Elle pleure sans cesse, pâlit, maigrit. Ses parents, qui aiment profondément leur enfant, consultent les meilleurs médecins. Les traitements, potions et décoctions à base de plantes ou de miel, restent inefficaces. Ils font alors appel aux prêtres, aux devins, aux magiciennes : leurs sacrifices, leurs rites et formules magiques sont également sans effet.

Finalement, Lucius T. a une idée : « Et si j'offrais à ma fille une poupée ressemblant à Parvula et tenant un lapin dans ses bras ? Ce serait un jouet mais peut-être davantage : une sorte de présence protectrice de ses amis tant regrettés... »

Il connaît un potier arverne qui fabrique des statuettes en terre blanche. Ces figurines sont d'ordinaire faites en série et, bien sûr, il faudra que l'artisan réalise cette fois un modèle unique ou, s'il préfère, un nouveau moule pour un nouveau modèle. Cela coûtera cher sans doute, mais Lucius T. est riche et il est prêt à tout pour sa fille.

Quand celle-ci reçoit sa poupée, qu'un courrier à cheval apporte d’Aquis Calidis, elle pleure d'émotion. Elle la prend dans ses bras, l'embrasse encore et encore... Désormais, nuit et jour, elle ne la quitte plus.

Sa santé, cependant, ne s'améliore pas et, au bout de quelques mois, la petite Lucilla meurt. On l'enterre. Parmi les offrandes qui vont l'accompagner dans l'au-delà, il y a, bien sûr, la statuette qui lui était si chère.

Dans l'ile des Bienheureux, les deux enfants se retrouvent avec joie. Lucilla ne cesse d'embrasser Parvula et de caresser Carissimus. Et Parvula s'amuse de se voir si fidèlement représentée par le potier arverne. Elle admire son art..., mais s'étonne de ce gros bourrelet qui ressemble à un nombril géant.

« - C'est bien un ombilic, répond son amie, l'artisan a expliqué à mon père que, grâce à ce détail (de taille !), nous serions reliées toi et moi, comme le sont une maman et le bébé qu'elle porte dans son ventre. Et que j'en serais rassurée et consolée. Il n'avait pas tort, puisque nous voilà réunies ! »

*

* *

Driiing !

Le réveil de Mme Figlina sonna. Six heures et demie ! Il fallait se lever ! Déjà, dans la cuisine, son mari chauffait le café...

Les enfants préparés et déposés à l'école, elle se rendit à son lycée, monta en salle des professeurs, ouvrit son casier.

Elle y trouva une grosse enveloppe de l'Atelier Patrimoine de l'AVCA et de La Passerelle. Sans doute organisaient-ils, cette année encore, un concours de Nouvelles.

Elle ouvrit l'enveloppe et tressaillit... Sur la première page du document figurait une statuette en terre blanche de l'Allier :

UNE FILLETTE TENANT UN LAPIN SUR SON COEUR...

Et c'était... EXACTEMENT LA STATUETTE DE SON RÊVE !!!

Date de dernière mise à jour : 22/12/2021

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