Citation : " (...)Viennent ensuite les nourrices (images de la terre nourricière), assises dans un fauteuil d'osier et allaitant  un ou deux enfants. Ce "lien du lait" est unique dans l'Occident romain, et typiquement gaulois." 

Maurice Franc "Les figurines de terre blanche de l'Allier" Bulletin de la Société d'Emulation du Bourbonnais, 1er trimestre 1990

Alessandrini Stella

Ce texte écrit par Stella Alessandrini a obtenu

la 4e place

au Concours de Nouvelles 2020

organisé à Avermes (03000) conjointement par

La Passerelle (médiathèque d'Avermes)

et

L'Atelier Patrimoine de l'Avca.

Affiche 2020

Photo : Robert Lecourt

Affiche : Magali Soule

 

 

Ce texte est la propriété de son auteur.

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sans avoir obtenu au préalable son accord.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un texte de Stella Alessandrini

 

 

 

Ilmmortaliser les vivants.

 

 

 

On n’est pas sérieux, l’été de ses dix-sept ans

 

« Mais quel gamin insupportable », ont dû s’écrier les gens sur mon passage ce fameux mercredi 9 juillet. Imaginez un enfant tiré, que dis-je, traîné par sa mère vers la voiture. Ce jeune garçon, voyez-vous, hurle comme un cochon que l’on égorge, il pleure et tape du pied : « Non, pitié, je veux pas y aller ! », supplie-t-il.

Mais où sa mère veut-elle l’emmener, l’inconsciente ? A l’école ? Chez le dentiste ? « Non, en vacances chez ses grands-parents », répondra-t-elle à un ami inquiet de les croiser ainsi.

Il faut dire que je m’évertuais à exprimer par tous les moyens possible mon mécontentement. Quand ma mère m’avait annoncé que j’allais passer l’été 2005, celui de mes 17 ans, chez mes grands-parents dans l’Allier, j’étais, il faut le dire, bien déçu. Moi, je voulais aller à la mer avec les copains. Au lieu de cela, je me retrouvais à aller passer deux mois à Moulins, ville charmante au demeurant, mais à 400 kilomètres de la mer.

J’adorais passer du temps avec mes grands-parents, ne vous méprenez pas. J’aimais particulièrement engloutir des tartines à la gelée de groseille en écoutant mamie me raconter ses souvenirs de jeunesse.

Pourtant, l’été de mes dix-sept ans, je le rêvais à la plage, entouré de copains, et si possible de copines, découvrant les joies des longues soirées d’été et sirotant des cocktails sans me soucier de rien. On n’est pas sérieux, l’été de ses dix-sept ans.

La route de Paris à Moulins fut longue, il y avait du monde sur la route. Il faisait chaud, et même la climatisation ne suffisait pas à rendre cette chaleur étouffante plus supportable. Mon casque vissé sur les oreilles, j’écoutais en boucle les mêmes chansons depuis le départ.

Lorsque nous arrivâmes, je vis mes grands-parents sur le pas de la porte, et, bien que je fusse loin de mon été de rêve, je fus comme touché au cœur de les voir ainsi, arborant tous deux un immense sourire. Ils avaient l’air si heureux de me voir, que je me sentis coupable d’avoir rechigné à les rejoindre. Ma mère me déposa, discuta un peu avec ses parents, puis reprit la route pour Paris.

« Demain, je t’emmène au musée », s’écria Papi au cours du dîner qui s’ensuivit. Il avait l’air si enthousiaste que je me retins de soupirer. Non seulement j’allais passer deux mois d’été à Moulins, mais en plus j’allais passer mes journées dans des musées… L’art ne m’inspirait pas grand-chose. Bien sûr, j’avais visité beaucoup de musées, plus jeune, avec ma famille et avec l’école. Quelque chose me dérangeait, j’avais l’impression que les artistes en faisaient toujours trop.

Le lendemain matin, c’est sans réelle hâte que j’enfilai mes chaussures pour suivre mon grand-père sur le chemin du musée. Pourtant, j’étais à mille lieux de me douter que ce jour-là allait changer le cours de ma vie, d’une manière extraordinaire.

Je pénétrai dans une pièce sombre, dans laquelle trônaient divers présentoirs. Chacun d’entre eux était recouvert d’une protection en verre, et une petite lampe éclairait chaque œuvre. Je m’approchai d’un des présentoirs. Y figuraient deux figurines en terre blanche : l’une représentait un cavalier, et l’autre un jeune homme qui semblait le saluer. Je fus frappé par la force qui émanait de ces sculptures. Je ne savais me l’expliquer. Ce qui au premier abord ne semblait être qu’une collection de statuettes en terre me semblait être bien plus. En observant minutieusement chaque figurine que comportait cette petite pièce sombre, j’avais l’impression d’avoir remonté le temps. Peut-être était-ce justement la simplicité de ces sculptures qui m’attirait. Cette fois-ci, l’artiste n’en avait pas trop fait. Il n’avait pas représenté une figure de style à l’aspect abscons. Il avait sculpté la vérité. Il avait pétri la réalité. Je me sentais transporté à l’époque que représentaient ces figurines. Je dévorai l’écriteau explicatif des yeux : « Les figurines gallo-romaines en terre blanche, produits lors des 1er, 2e et 3e siècles de notre ère ».

J’étais abasourdi. Pour moi, l’histoire avait toujours été cette discipline abstraite étudiée à l’école. Jamais je n’aurais pu imaginer trouver ces scènes de vie des 1er, 2e et 3e siècles si farouchement modernes. Je me sentais lié à ces figurines d’une façon toute nouvelle. Depuis cette découverte, j’avais envie d’en savoir plus sur leur histoire, leur origine. J’avais l’étrange impression de connaître chacune de ces personnes, comme si leur transformation en figurines les avait rendues immortelles. C’était donc cela, l’art que j’aimais, celui qui, sans fioritures ni prétentions, immortalisait les vivants. La figurine de ce cavalier me donnait envie de m’imaginer sa vie. A quoi avait-elle pu bien ressembler, sa vie ? Avait-il eu une belle femme qu’il avait aimée passionnément ? Avait-il eu des enfants ? Combien ? J’avais soudain une envie irrépressible d’en savoir plus sur la vie de toutes ces figurines, comme s’ils étaient de lointains amis. Je réalisais pour la première fois de ma vie qu’il y avait derrière les œuvres d’art de réelles personnes. Je comprenais désormais avec acuité la fascination qu’exerce encore aujourd’hui La Joconde sur des milliards de visiteurs : qui était cette femme ? Derrière une simple représentation, figée dans le temps, c’était des centaines d’élucubrations sur son identité mais aussi sur sa vie qui surgissaient.

 

L’art rend immortel

 

Aujourd’hui, j’ai trente-deux ans, et si je suis devenu professeur d’histoire de l’art, c’est un peu grâce à ces figurines de l’Allier. Je me souviendrai toujours avec nostalgie de cet été 2005. Je rêvais de plage et de filles, et je suis tombé amoureux des musées et des sculptures. Tomber nez à nez avec ces figurines des premiers siècles de notre ère m’a rendu avide d’histoire, l’Histoire au singulier qui toujours cache des histoires au pluriel. Ma fille vient d’avoir quatre ans, et je sais d’ores et déjà que je veux l’initier le plus tôt possible aux merveilles de ce monde. Je veux qu’elle développe un goût pour l’art, pour n’importe quelle forme d’art. Je suis de ceux qui sont opposés à toute hiérarchisation des arts. J’en suis la preuve vivante : on peut ne pas être sensible à l’art jusqu’à la découverte de deux petites figurines en terre blanche dans une petite pièce sombre d’un musée de l’Allier. Je n’ai compris que bien plus tard la raison de la fascination que ces figurines avaient exercée sur moi : c’était la première fois que l’art me semblait être la chose des hommes. Auparavant, je reléguais au rang des disciplines réservées aux autres. Il fallait avoir un don, il fallait posséder ce quelque chose en plus, qui faisait de vous un artiste. Or, ces figurines étaient la preuve que l’art servait aussi à rapprocher les hommes. Jamais je ne m’étais senti aussi proche d’individus qui vécurent aux premiers siècles de notre ère. Le potier créait entre les hommes une proximité dans l’espace et dans le temps.

Je suis tombé amoureux de l’art cet été-là. Les jours suivants, j’ai écumé toutes les étagères de la riche bibliothèque de mes grands-parents. D’Annie Ernaux à Honoré de Balzac en passant par Luis Sepulveda, je découvrais la puissance des mots sur la guérison des maux.

L’art, c’était aussi la musique. J’ai pris le temps d’écouter les 45 tours de mes grands-parents, et je tombai instantanément sous le charme de Brassens, Brel et Bashung, mes trois B, ceux qui, par la suite, m’ont accompagné dans chaque épreuve de ma vie.

Je crois que c’est aussi lors de cet été 2005 que j’ai compris que je voulais être une de ces figurines. Moi aussi, je voulais traverser les époques, et que vingt siècles plus tard un enfant me découvre et s’interroge sur mon mode de vie. Il me semblait alors que le seul moyen de survivre c’était l’art. Les personnages de ce musée seront toujours vivants, tant qu’il y aura quelqu'un pour regarder ces figurines, pour les conserver, et les aimer.

L’art rend immortel.

 

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Date de dernière mise à jour : 24/09/2020

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