Citation : " (...)Viennent ensuite les nourrices (images de la terre nourricière), assises dans un fauteuil d'osier et allaitant  un ou deux enfants. Ce "lien du lait" est unique dans l'Occident romain, et typiquement gaulois." 

Maurice Franc "Les figurines de terre blanche de l'Allier" Bulletin de la Société d'Emulation du Bourbonnais, 1er trimestre 1990

BOUTEVILLAIN Eusébie

Texte : Boutevillain Eusébie

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L’habit ne fait pas le moine.

 

Venus protectrice photo dominique boutonnet

 

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An 2018. Toulon- sur- Allier.

Fouilles d’urgence.

 

- Fabuleux !!!! entendit-on du fond du site. Les têtes interloquées se levèrent et cherchèrent d’où provenait l’exclamation tonitruante. Cela faisait quatre mois que les archéologues et autres « fouilleurs » d’histoire creusaient le site en quête du passé. Et enfin, ils étaient récompensés. Tant de labeur, de patience pour découvrir cette petite merveille. Nettoyée, choyée, presque vénérée, elle allait devenir l’objet de toutes les attentions.

 

- Regaaaarde, hurlait Victor à l’intention de Bérengère. Et de courir dans tout le site avec un morceau de terre informe à la main. Regaaarde !!!!

Bérengère, habituée aux enthousiasmes expansifs de son mari, se redressa et chaussa ses lorgnons.

- Ma foi, voilà une trouvaille de taille, s’exclama-t-elle dégageant l’objet de sa gaine de terre.

- Tu vois que j’avais raison ! fanfaronna Victor.

- De ?

- Que ce site était fabuleux !

Bérengère sourit. Victor et elle s’étaient rencontrés lors du chantier de fouilles d’urgence aux Buttes des Carmes à Marseille. Elle, posée et calme, avait découvert que l’archéologie pouvait susciter déraison, fébrilité et folie furieuse. Victor avait alterné les périodes de dépression et d’euphorie et Bérengère avait passé son temps à le rasséréner. Elle avait fini par tomber sous le charme et, quelques fouilles plus tard, ils se marièrent. Bientôt sexagénaires, ils n’avaient pas changé le fonctionnement de leur couple d’un iota. Lui, passionné expressif, elle, la zénitude incarnée. Victor fit le tour du site en brandissant fièrement son trophée sous les yeux effarés des petits nouveaux qui ne connaissaient pas cet aspect de l’archéologie. Il fut décidé de poursuivre les fouilles de façon plus approfondie à cet endroit. On découvrit alors, enfouies plus profondément, d’autres statuettes, identiques à celle tenue fermement par Victor.

- Un atelier, finit par dire Bérengère. Ça ne change pas. C’est vraiment la spécialité de la ville.

Victor et ses proches collaborateurs se lancèrent alors dans le nettoyage et la rédaction des premières constatations.

- La victime est donc une statuette en argile blanche, creuse, d’une hauteur de 10 cm.

Anaïs, la fille cadette de Victor et Bérengère notait les premières informations non sans humour. Il fallait bien cela pour supporter les humeurs de son père. Ce dernier tournait et virait autour de sa fille créant courant d’air et ambiance propice à l’énervement.

- Tu peux arrêter deux secondes ! finit-elle par lancer vertement à son père. C’est insupportable !

Penaud, Victor s’assit.

- Bon voilà. Maintenant, description. Une femme aux traits européens se tient au presque centre de la statuette. Elle est nue, les cheveux noués et entourée d’enfants.

- Il faudrait trouver les moules, marmonna Victor pour lui-même.

 

- ?a y est ! s’écria Anaïs quelques heures plus tard. J’ai terminé. Le bébé est à toi.

Avec des yeux gourmands, son père se précipita vers l’objet convoité et commença son analyse.

- Voyons….. une femme, des enfants…Une déesse ?

Anaïs haussa les épaules. C’était toujours la première analyse. Victor poursuivit ses manipulations.

- Une nourrice ?

Anaïs acquiesça.

- Probable, dit-elle. Mais quel intérêt d’avoir une statuette de nourrice chez soi ?

- Elle aurait fait quelque chose de remarquable ? tenta Victor.

- Ou aurait été aimée du potier, suggéra Bérengère en entrant dans la pièce.

- Ben ?

- Il lui rend hommage à sa façon, continua-t-elle.

- En en faisant des dizaines d’autres ? dit Victor dubitatif.

- Effectivement, c’est stupide comme idée.

- Ouais, il a surtout fait un moule donc autant qu’il rentabilise, ajouta Anaïs plus pragmatique.

- Anaïs ! s’offusqua sa mère.

- Ben quoi ? Sa statuette est belle autant qu’il rentabilise ! Surtout si la dulcinée l’a envoyé paître !

- J’aime ton romantisme, souffla sa mère.

- Ou alors, c’est une commande, dit Victor. Une commande pour un nouveau thème.

- Histoire de changer des déesses, s’amusa sa fille.

 

- Absolument.

- Ou alors une œuvre d’art en soi, compléta Bérengère. Comme Phidias.

- Donc ce n’est pas un atelier de potier mais un artiste en quête de reconnaissance, avec un style nouveau, dit Anaïs. Genre Monet chez les potiers.

- Anaïs ! rouspéta sa mère.

- En attendant, je vais contacter l’INRAP pour voir si d’autres statuettes identiques à celle-ci ont été trouvées, ajouta Victor.

- C’est peut-être un ex-voto, lança soudain Bérengère.

- Du genre ?

- Du genre - Bérengère mima sa fille- ex-voto pour remercier d’une fertilité abondante. Ou l’obtenir.

- Possible, fit Anaïs, et sans doute plus crédible qu’un renouveau artistique chez les potiers. Sauf qu’on en a plusieurs d’ex-voto.

- Supposons que le potier y ait vu de la rentabilité, continua Bérengère. La stérilité touchait toutes les femmes de tout l’Empire.

- Ou peut-être a-t-il fait plusieurs essais avant de trouver la bonne forme, après tout nous n’avons pas encore analysé les autres statuettes. Elles ont peut-être des défauts.

- Très juste.

L’hypothèse de l’ex-voto obtint la majorité des voix. Victor resta, lui, accroché à l’idée de l’apparition d’un nouveau style.

 

 

An 2018. Toulon- sur –Allier.

La mairie.

 

- Hum, toussota le 1er adjoint au maire.

- Oui ? fit ce dernier levant le nez des circulaires du préfet.

- Hum, les archéologues ont trouvé une statuette.

- Une statuette ? Quels archéologues ? demanda le maire quelque peu dépassé.

- Les fouilles d’urgence, monsieur le maire. On a détruit d’anciennes maisons insalubres pour rénover et…

- Et bam, on a trouvé un site archéo, termina le maire.

- C’est ça.

- Et donc cette statuette ?

- Période gallo-romaine à priori.

- Que c’est étonnant, soupira le maire. La ville était une ville de potiers ! J’imagine que la découverte est exceptionnelle, continua-t-il dépité.

- Apparemment. Ils oscillent entre un ex-voto et un renouveau artistique.

- Et ben qu’ils oscillent mais dans six mois, ex-voto ou art nouveau, on recouvre et on reconstruit !

- Je leur transmets, dit le 1er adjoint presque s’inclinant.

Il sortit rapidement. Manquait plus que ça ! Une énième statuette, d’un énième potier. Pff. Si encore, elle était en or ! Même pas. De l’argile, de l’argile et de l’argile. Passionnant. Dans trois mois, il était prévu la déconstruction d’un parking et sa « refonte », on devait donc s’attendre à des fouilles d’urgence. « Et je te fiche mon billet qu’on va retrouver un site de potiers », ronchonna, pour lui-même, le 1er adjoint.

 

 

An 1544. Toulon- sur- Allier.

Atelier de Maître Thomas.

 

- Mon ami ! Que dites-vous de cela ?!!!

Le seigneur de Thiers brandissait une statuette en argile sous le nez de l’artisan. Maître Thomas, potier de son état, prit précautionneusement l’objet et le détailla.

- Très belle pièce, finit-il par dire.

- N’est-ce pas ? Elle m’a coûté deux livres mais en vaut la peine !

Maître Thomas opina.

- Je l’ai trouvée à Troyes. Un marchand d’Antiquités.

Maître Thomas, manipulant l’objet, sursauta soudainement les yeux rivés sur un endroit précis. Le seigneur de Thiers, soliloquant, ne remarqua rien.

- Une pure merveille. Les Romains maîtrisaient vraiment l’art, continuait-il.

Il finit, toutefois, par passer commande d’un service pour le quotidien.

- Henry ! André ! tonna le maître potier une fois son client parti.

Les deux aides firent leur apparition mais à la figure convulsée de leur Maître, ils surent que cela allait chauffer.

- Vous allez me jeter fissa vos statuettes et les moules !

Les deux apprentis firent les gros yeux en signe d’incompréhension.

- Ne me prenez pas pour une damoiselle ! Vous faites commerce de fausses antiquités !

- Mais….

- Jetez moi ça tout de suite dans le puits !

Renfrognés mais obéissants, les deux aides allèrent chercher leur butin bien caché dans l’atelier et le jetèrent dans le puits au milieu de la cour. Ce dernier, très profond, servait depuis des lustres de poubelle aux potiers se succédant depuis des lustres dans cette maison. Maître Thomas assista à la scène afin de s’assurer que ses deux apprentis suivaient ses ordres.

- Tout de même, ne put s’empêcher André, l’Eglise a laissé le trafic de reliques ! Et nous on jette un commerce florissant ! Parfaitement, ajouta-t-il très vite, on est de plus en plus concurrencés par de nouveaux commerces, la faïence devient à la mode, on perd des clients alors quand les gens veulent des « romanités », et ben on pouvait leur en fournir. On ne tue personne, tudieu !

- J’ai prêté un serment pour devenir potier ! articula Maître Thomas ne le laissant pas finir sa diatribe. Un serment ! Qui interdit toute menterie ! Vous ferez votre paquetage. Point de mensonge chez moi.

Les deux apprentis haussèrent les épaules. Le mal était fait. Tout leur travail était au fond du puits. Inutile de se battre.

- Et comment vous avez- su ? osa Henry.

- Vous avez signé avec votre poinçon !

 

 

An 1546. Yzeure Saint-Bonnet.

Atelier de Maître Pierre.

- Alors, vous avez réussi ? questionna-t-il impatient.

André et Henry, sourire aux lèvres, montrèrent triomphalement l’objet. Maître Pierre, ravi, se frotta les mains.

 

 

An 1902. Yzeure Saint-Bonnet.

Fouilles archéologiques.

 

- Extraordinaire !!!!

Les têtes se redressèrent interloquées…

 

 

FIN

 

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