Citation : " (...)Viennent ensuite les nourrices (images de la terre nourricière), assises dans un fauteuil d'osier et allaitant  un ou deux enfants. Ce "lien du lait" est unique dans l'Occident romain, et typiquement gaulois." 

Maurice Franc "Les figurines de terre blanche de l'Allier" Bulletin de la Société d'Emulation du Bourbonnais, 1er trimestre 1990

AUBERTIN Hélène : Puella

En 2021, le jury du Concours de Nouvelles d'Avermes

a classé ce texte intitulé

Puella

écrit par Hélène AUBERTIN

à la 12e place.

fillette au lapin photo d Boutonnet

 

 

 

Ce texte est la propriété exclusive dE Hélène Aubertin.

Nulle utilisation n'est autorisée sans son accord préalable

Texte de Hélène  AUBERTIN

Puella

Au temps des gallo-romains

Une déesse maudite du nom de Puella ravageait les terres humaines après avoir été bannie de l'Olympe. Elle était toujours accompagnée de son jeune frère Marcus, et ensemble ils semaient le malheur et la destruction par le biais d’une peste vicieuse. Pour se fondre dans la masse de l’humanité, Puella prenait l'apparence d'une petite fille et avait toujours Marcus, sous forme de lapin, dans ses bras. Mais les dieux finirent par les découvrir et ne pouvant pas les tuer, leur puissance étant trop grande, ils les transformèrent en pierre. La destructrice n'était désormais plus qu'une statuette, représentant une petite fille aux cheveux longs attachés dans un chignon, ayant son lapin blotti dans les bras. Cette représentation du duo maléfique ne reprendrait vie qu’au contact d’humains et elle fut cachée soigneusement sous terre, dans une sorte de tombe anonyme qui ne devait pas attirer l’attention. La fin du monde attendrait leur réveil pour débuter.

*

**

A l'époque actuelle, récit de celui par qui tout est arrivé

« - Aujourd'hui nous avons fait la découverte d'une statuette pour le moins... étrange ? D'apparence elle est normale mais dès que quelqu'un la touche, le ventre de la petite fille se met à briller ! Si avec ça je n'ai pas une prime je démissionne ! Si je vivais seul la paye d'archéologue me suffirait, mais avec mon père malade, c'est compliqué. Il a toujours été passionné d'archéologie alors quand il a appris que mon meilleur ami Gabriel et moi nous allions devenir archéologue pour le ministère de la culture il a absolument, et sans débat possible, voulu rester vivre avec moi ! Cette fois-ci nous avions été appelé pour un chantier de contournement de l'agglomération moulinoise et c'est là-bas que j'ai trouvé la statuette. Je pense qu'avec ça le ministère sera fier de moi ! En tout cas je l'espère.

Quand je pense qu'à la base je voulais faire anthropologue. C'est Gabriel qui m'a presque forcé à faire les études d'archéologie avec lui ! Nous sommes amis depuis toujours lui et moi et même un peu plus. Il est assez petit, blond, ses cheveux sont courts et rasés sur les côtés et ses yeux sont d’un vert très pâle. Moi je suis très grand avec des cheveux mi-longs, noirs avec une mèche blanche, qui est due à la coloration que je fais tous les deux mois par coquetterie, et des yeux bleus-gris. J'ai aussi une cicatrice à l'œil gauche à cause d'un accident de voiture quand j'étais enfant, ce qui fait que je ne vois que d'un œil. Bon, revenons-en aux faits ! Nous sommes bientôt arrivés à destination, c'est-à-dire directement au bureau du ministre. En effet il est passionné de tout ce qui est statuette et encore plus quand il s'agit d’une œuvre gallo-romaine et celle-là est particulièrement belle et atypique.

Arrivés sur place, Gabriel et moi, nous fûmes reçus assez vite. Là où nous sommes actuellement, c'est une grande salle de réunion où plusieurs experts, archéologues, le ministre, ainsi que quelques autres personnes dont je ne connais pas la fonction, sont rassemblés. Tous attendent patiemment que mes supérieurs fassent entrer la fameuse statue. Je ne pensais pas qu'elle intéresserait autant de monde ! Mais après tout ça m'arrange, si ça me permet d'avoir une bonne prime. Et vu le regard que Gabriel me lance il doit être du même avis, nous ne sommes pas Bourbonnais tous les deux pour rien. En même temps qui serait contre un peu, voire beaucoup, d'argent ? Enfin bref, je vois arriver d'autres hommes, ils ont sûrement la statue avec eux, vu le petit chariot que traîne l'un des officiers derrière lui. L’objet n’est pas très grand, mais il est très dense et pèse son poids.

La réunion est beaucoup plus active et intense que ce que j'aurais pu imaginer ! Tout ce raffut et ce désaccord juste pour une simple statue ? C'est étrange quand même... Gabriel se pose probablement le même genre de questions vu la tête qu'il fait. Ils ont forcément découvert quelque chose à propos de cette œuvre, ce n'est pas possible autrement.

Ils ne sont pas d'accord et ni Gabriel ni moi n'avons le droit de donner notre avis. Le ministre et ses collègues souhaitent garder la statue dans un musée alors que les scientifiques et les archéologues veulent la mettre en laboratoire sous haute surveillance. Ce n'est pas un peu extrême ? Certes la statue brille anormalement, mais ils cachent sûrement quelque chose pour vouloir prendre autant de précautions.

Je n'ai pas eu le temps de réfléchir plus à cela que Gabriel a demandé, un peu en criant pour se faire entendre, quel était le problème avec cette statue. Merci cher ami, enfin ! Mais maintenant tout le monde dans la pièce nous regarde. C'est un peu dérangeant mais le ministre ainsi qu'un scientifique avec des cheveux courts, bruns, des yeux marrons perçants et habillé d'une simple chemise et d'un jean, nous expliquent ensemble pourquoi la statue est problématique. En fait, le scientifique en question, qui s'avère s'appeler Thomas, a su, juste en regardant la statue, qu'il s'agissait du reste de la déesse déchue Puella et de son frère Marcus. Thomas a consacré sa vie à la recherche de cette statue, car il est le descendant direct d’un prêtre qui a assisté à la pétrification de ces deux êtres maudits, issus des enfers, et qui sont plus des démons majeurs que des dieux, ils sont en fait plus vieux que les dieux, ce sont des titans. La légende de Puella et Marcus se racontait de génération en génération dans sa famille. C'est donc normal qu'il ait reconnu si vite la statue

Thomas, lui, veut l'étudier dans un endroit sécurisé de peur qu'elle ne se réveille. Mais le ministre n'y croit pas et souhaite l'exhiber au monde entier comme si c'était lui qui l'avait découverte. Moi je ne sais pas vraiment quoi en penser. Si cette Puella est dangereuse il vaut mieux l'isoler à l'abri des regards non ? Par contre, Gabriel n'a pas l'air de croire ce Thomas. J'en conclus qu'il est du côté du ministre qui, au passage, se nomme Monsieur Tanaka. Je préfère m'abstenir de débattre, après tout ce n'est plus vraiment mon affaire et Gabriel devrait adopter la même attitude.

Après quelques heures de débats interminables, Monsieur Tanaka a finalement gagné si on peut dire ça comme ça. La statue sera donc exhibée au grand public dès la semaine prochaine au sein du plus grand musée de France : le Louvre. Thomas me fait un peu de peine, il a l'air abattu par cette nouvelle comme si la fin du monde approchait à grands pas. Cela m'inquiète un peu... Et Gabriel lui, me déçoit un peu. Il a cet air satisfait sur le visage qui me fait froid dans le dos. Enfin bon, une grosse prime nous a été promise d'ici une ou deux semaines donc ce n'est définitivement plus notre affaire, en tous cas plus la mienne.

*

**

Deux semaines plus tard

Nous ne nous parlons plus Gabriel et moi. Après sa sortie de la salle à l’issue de la réunion, il était comme changé. Il n'arrêtait pas de me répéter que tout allait s'arranger et « qu'ils allaient bientôt pouvoir s'échapper et récupérer ce qui leur appartient ». Je n'ai rien compris à son discours et, par peur, j'ai préféré couper le contact avec lui pour une durée indéterminée. Je ne peux pas m'empêcher de m'inquiéter pour lui et d'essayer de savoir de quoi il pouvait parler, mais mes efforts sont restés vains et les réponses à mes questions introuvables. Je vais peut-être devenir paranoïaque à force de me torturer l'esprit avec des hypothèses improbables... Ou bien c'est cette statue qui m'a rendu fou ! De toutes manières je n'ai plus le temps de réfléchir à ça aujourd'hui, Thomas a demandé à me voir et il est arrivé devant chez moi, en voiture pour m'emmener à son laboratoire personnel.

Arrivé là-bas, je peux constater que le laboratoire est beaucoup plus grand que ce que j'imaginais ! Des machines et des bureaux sont disposés parallèlement contre les murs alors qu'une seule et même grande table trône au milieu de cette salle à l'ambiance pesante et plutôt étrange. D'ailleurs maintenant que j'y pense, je ne sais pas pourquoi il voulait que je vienne avec lui dans son laboratoire. Il va probablement me le dire-... mais où est-il passé ?! Pourtant il était derrière moi il y a quelques secondes à peine ! J'ai beau regarder partout autour de moi je ne le vois pas, il a disparu.

Je devrais essayer de sortir d'ici, cet endroit commence à me donner des frissons et j'ai comme un mauvais pressentiment. Oh non... La porte est fermée à clef. J'aurais vraiment dû être plus attentif. Maintenant je suis enfermé dans le laboratoire flippant d'un scientifique que je connais à peine ! Vraiment c'est super comme situation je ne pouvais pas rêver mieux comme journée ! L'ironie va me faire perdre la tête. Bon, reste calme et essaie de trouver une solution. La porte ne devrait pas être très dure à enfoncer avec quelques coups d'épaule, je pense avoir assez de force pour l'ouvrir.

J'avais raison ce n'était vraiment pas solide ! Bon maintenant plus qu'à retrouver Thomas ou au moins quelqu'un pouvant me ramener chez moi. Mais la tâche risque d'être plus compliquée que prévu, je n'avais pas fait attention en arrivant, mais cet endroit est assez éloigné de la ville. Et comme je m'en doutais je n'ai pas de réseau pour appeler quelqu'un sur mon téléphone portable. La voiture n'est plus là, donc Thomas est parti avec. Et comment je fais pour rentrer maintenant ? Je n'avais pas l'intention de rester bien longtemps ici, mais je ne pense pas avoir le choix.

En fouillant un peu les bureaux, puisque je ne voyais que ça à faire, j'ai trouvé une note m'expliquant que je serais plus en sécurité ici, loin d'autres personnes et que je ne devais pas m'inquiéter. Je suppose qu'elle appartient à Thomas mais ça ne me dit pas quand je pourrai retourner chez moi...

Alors que je recommençais à me poser mille et une questions par rapport à Gabriel ou encore à la note de Thomas, je vis par la seule fenêtre que le ciel prenait une teinte inhabituelle. Un violet clair et presque envoûtant en avait pris possession. Ce n'est définitivement pas normal. Mais alors que je perdais peu à peu mes sens, la statue, elle, brillait au fur et à mesure que l'enchantement lancé aux humains commençait à faire effet : la conscience s'efface petit à petit jusqu'à ce qu'il ne reste qu'un pantin ne pouvant s'empêcher de tuer autrui en répétant une seule et même phrase : « La liberté et ce monde leur seront bientôt rendus ». Toute personne à proximité de ce lieu, maintenant habité par une lumière aveuglante, pouvait entendre les voix de Puella et Marcus crier de douleur et de rage, car la fin de l’humanité signifiait aussi leur retour aux enfers. La statue se fissurait de plus en plus, comme un œuf maudit qui allait bientôt éclore. »

Et pour ce qui est de Thomas, à peine avait-il réussi à rejoindre cet endroit maudit, où la destruction prenait naissance, qu'il se fît désintégrer préventivement, il ne resta de lui qu'un petit tas de poussière se dispersant dans le vent mauvais annonçant le début de la fin du monde.

 

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