Citation : " (...)Viennent ensuite les nourrices (images de la terre nourricière), assises dans un fauteuil d'osier et allaitant  un ou deux enfants. Ce "lien du lait" est unique dans l'Occident romain, et typiquement gaulois." 

Maurice Franc "Les figurines de terre blanche de l'Allier" Bulletin de la Société d'Emulation du Bourbonnais, 1er trimestre 1990

DUMAS Françoise : Anaïs

En 2021, le jury du Concours de Nouvelles d'Avermes

a classé ce texte intitulé

Anaïs,

écrit par Françoise DUMAS

à la 7e place.

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Ce texte est la propriété exclusive de Françoise DumasWalas.

Nulle utilisation n'est autorisée sans son accord préalable

Texte de Françoise DUMAS

 

Anaïs

 

 

La vieille dame s’installa confortablement dans son fauteuil préféré, les pieds sur un pouf, un plaid sur les jambes, et se mit, comme à son habitude, à contempler la figurine qui trônait en bonne place sur la table basse du salon : une fillette semblait bercer un jeune lapin ; son visage aux traits délicats se penchait vers le petit animal serré contre sa poitrine, sans que le moindre sourire vînt éclairer son expression. Mélancolique ? Rêveuse ? La vieille femme n’arrivait pas à trancher, malgré toute l’attention qu’elle apportait à son examen ! A quoi cette enfant pensait-elle donc ? Rendue peu à peu somnolente par la douce chaleur qui l’enveloppait, la vieille femme s’assoupit, les souvenirs s’entrechoquant sous ses paupières. Anaïs !

Elle revoyait l’enfant rieuse, courant dans les prés, sans se soucier des vaches qu’elle dérangeait dans leur mastication ou leur ruminement. Beaucoup plus froussarde, je la suivais partout, malgré mes réticences qu’invariablement elle réussissait à vaincre par de gentilles moqueries, si bien que ma fierté m’incitait à passer outre, à sa grande joie, bien sûr ! Anaïs était une petite brunette toute en rondeurs, les yeux pétillants de malice, toujours à l’affût d’une prouesse à accomplir ou d’un bon tour à jouer (Sans aucune méchanceté, je vous rassure !).

Un jour, Anaïs m’invita chez elle. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir qu’elle habitait une roulotte ! C’était donc une « romanichelle » comme on disait à l’époque, d’un air méprisant ! Son apparence ne détonnait pas du tout parmi les autres enfants ; heureusement pour elle, car, à l’école, elle aurait été impitoyablement rejetée et moquée, voire même brutalisée par certains que je connaissais bien ! Je fus accueillie avec une certaine méfiance bien naturelle par la « tribu ». Présentée avec enthousiasme par Anaïs, je ne ménageai ni mes sourires, ni les marques de politesse, auxquels quelques mots ajoutaient le respect attendu. Je ne me privais pas d’admirer les toilettes aux couleurs vives, soulignées de volants et de bijoux. « Gitans » : ce terme là leur correspondait mieux et n’était pas injurieux !

Devant sa roulotte, Anaïs s’arrêta soudain et se tourna vers moi, le visage fermé ; elle se montrait inquiète sans que j’en comprisse la raison.

« - J’habite ici avec ma grand-mère ; je vais te la présenter. »

Je sentais qu’Anaïs se retenait d’ajouter quelque chose et que ce n’était pas le moment de la questionner. Je la suivis donc sans rien dire, l’attitude d’Anaïs m’incitant à penser que je risquais d’être surprise. Une certaine pénombre régnait dans la roulotte ; mes yeux s’étant habitués à la longue à cet éclairage restreint, je distinguais une vieille femme en habits traditionnels, dans un décor surchargé, imprégné d’une forte odeur de plantes que le mélange rendait indéfinissable.

« - Sois la bienvenue, petite ! Approche, que je te voie mieux !

- Bonjour, madame ! »

Je m’avançais timidement vers cette grand-mère surprenante, ratatinée dans son fauteuil, au visage mangé de rides, mais dont le regard encore vif semblait me transpercer. Elle me saisit la main pour m’attirer encore plus près d’elle et me fixa un moment sans sourire. Je sus avec certitude, qu’en un instant, elle avait appris à me connaître mieux que moi-même et ma famille. Je dus laisser paraître ma surprise, car un lent sourire étira ses lèvres.

« -Tu es une brave petite ; je suis contente qu’Anaïs t’ait rencontrée. 

- Merci, madame. »

Je perçus le soupir de soulagement de mon amie ; j’étais adoptée par une grand-mère que, sans nul doute, elle vénérait ; je ne pus alors m’empêcher d’éprouver un tel sentiment de fierté que j’embrassais la joue parfumée ; la veille dame, ravie de ce geste spontané, me caressa la joue. Nous ressortîmes de la roulotte, fortes d’un nouveau lien tissé entre nous. Nous passâmes l’après-midi à jouer avec les autres enfants ; le soir tombant, je rentrai chez moi, avec le sentiment d’avoir vécu une grande aventure !

Je ne parlai jamais de cette journée à l’école bien qu’Anaïs ne me l’ait pas demandé. C’était notre secret ! En fait, je me doutais bien que les autres élèves par leurs ricanements voire leurs insultes auraient abîmer ce moment qui restait pour moi extraordinaire ! J’accompagnai plusieurs fois Anaïs au campement sans manquer de saluer sa grand-mère ; à chaque fois, je ressortais de la roulotte en ayant la sensation que quelque chose de précieux m’était donné, à travers les paroles énigmatiques de l’aïeule. Anaïs ne commentait jamais ces visites, se contentant de me regarder d’un air interrogateur et se satisfaisant visiblement de mon silence.

Un jour, lors d’une promenade dans la forêt autour du camp, Anaïs découvrit un jeune lapin pris dans un collet ; heureusement pour ce pauvre animal, le collet ne s’était pas assez resserré pour l’étrangler ! Anaïs libéra le lapereau, se mit à le caresser pour le rassurer, tout en vérifiant qu’il n’était pas sérieusement blessé ; une entaille marquait son cou, résultat, sans doute, de ses efforts pour se libérer ! Pas question de le relâcher blessé, l’odeur du sang risquant d’attirer les prédateurs ! Anaïs le rapporta donc à sa roulotte ; sa grand-mère lui indiqua une cage à oiseau vide et lui prodigua les conseils nécessaires au bien-être de l’animal ; une litière de paille, un trognon de chou, une chute de tasseau accueillirent le petit lapin qui, encore tremblant de son aventure, resta un long moment tapi dans un coin, puis, affamé (Peut-être était-il prisonnier du collet depuis longtemps !), il se décida à s’attaquer au chou.

Depuis cette rencontre, Anaïs et le lapereau devinrent inséparables ; se sentant pleinement responsable de ce petit animal devenu confiant, elle entretenait soigneusement sa cage et pourvoyait régulièrement à ses besoins sans se lasser ; elle ne lésinait pas non plus sur les caresses ! Elle lui trouva même un nom : Gary ; une façon discrète de rappeler qu’il s’agissait d’un lapin de garenne.

Elle s’amusait beaucoup de voir l’air interrogateur de ses camarades de classe qui la surprenaient à parler de Gary ; aucun d’eux ne pouvait, bien évidemment, comprendre de qui elle parlait ! Que tous sachent qu’elle avait un ami en dehors de l’école lui conférait un statut très particulier dans la cour, et elle s’en délectait ! Je lui laissais volontiers savourer ces fugitifs instants de gloire ; je m’en amusais même, sans la moindre pointe de jalousie, préférant de loin rester dans l’ombre, comme à mon habitude.

Mais, si moi, je n’enviais aucunement Anaïs, certains enfants commencèrent à éprouver de la rancœur envers cette camarade qui les avait « détrônés », et cherchèrent à percer son secret. Je surpris des conversations édifiantes et avertis Anaïs. D’un haussement d’épaule, elle rejeta mes inquiétudes ; mais je continuais à craindre une méchanceté qui gâcherait à jamais cette période si heureuse pour nous deux. Je compris vite que c’était Martin le meneur de ces « conspirateurs », et je décidai de le surveiller. Quelques jours passèrent sans évènement notable ; si bien que la routine scolaire finit par endormir ma méfiance jusqu’au jour où je surpris Martin, au détour d’un couloir, en train d’épier Anaïs. Nous nous dirigeâmes toutes deux vers le campement comme à notre habitude, mon amie insouciante, moi restant sur mes gardes, à l’affût du moindre bruit confirmant ma crainte que nous soyons suivies. Je ne tardais pas à percevoir de légers craquements que je n’aurais certes pas entendus si je n’avais pas été en alerte. Nous approchions de l’embranchement qui conduisait au camp. Je me retournai si brusquement que Martin n’eut ni le temps de se dissimuler, ni de masquer son expression rageuse, furieux d’avoir été pris sur le fait ! Feignant la surprise, je l’interpelai :

« -Ah ! C’est toi, Martin !

- Eh, oui !

- Où vas-tu comme ça ?

- Je me promène ! J’ai bien le droit, non ?

- Tu ferais bien de rebrousser chemin ; il va pleuvoir ! »

Quelques gouttes commençant à tomber, Martin se retourna et s’éloigna rapidement, fulminant de colère d’avoir été obligé d’interrompre une filature si bien commencée !

Pendant cet échange si peu amical, qui ne me correspondait évidemment pas, Anaïs était restée muette, me fixant avec reproche, ne comprenant visiblement pas pourquoi je me montrais si agressive envers un camarade de classe, aussi antipathique fut-il. En quelques mots je lui résumais la situation.

« - Tu te trompes ! Ce n’est pas possible ! »

J’eus beau insister, elle resta dubitative. C’était bien dans sa nature d’ignorer le mauvais côté des autres, si bien que je craignis un moment que notre amitié ne s’en ressentît. Pourtant, j’aurai dû savoir aussi, depuis longtemps, qu’elle était incapable de tenir rigueur à quiconque des contrariétés ressenties.

Nous reprîmes notre route comme si aucun nuage n’était venu assombrir notre trajet (Et je ne fais pas allusion à la météo !). Ce qui ne nous empêcha pas d’arriver trempées à la roulotte !

Avant même que je n’ouvris la bouche, la grand-mère m’attira vers elle, la tristesse imprégnant soudain ses traits.

« - Merci pour ce que tu as fait ; mais bien sûr, elle ne t’a pas cru ! »

Anaïs voulut intervenir, mais, d’un geste impératif, la vieille dame la fit taire.

« - Ecoute ton amie ; elle essaie de te protéger !

- De quoi, grand-mère ?

- De la méchanceté du monde ! »

Interdite, Anaïs fixa intensément les yeux de sa grand-mère et perçut fugitivement la vérité. Malheureusement, elle retrouva vite son insouciance naturelle et se dépêcha d’oublier cette mise en garde solennelle.

Les choses semblèrent rentrer dans l’ordre et continuèrent ainsi quelque temps, Anaïs toujours auréolée de l’existence du mystérieux Gary, moi restant à l’aguet tant mon cœur me donnait la certitude d’une catastrophe imminente. Je savourai chaque instant avec mon amie, persuadée que bientôt tout changerait sans que je ne pusse rien faire pour empêcher le drame qui s’annonçait ! Des courants, que je sentais en classe, m’avertissaient qu’un complot se préparait, et que, désormais, une certaine méfiance à mon égard, m’isolait indubitablement ; je n’arrivais plus à m’approcher des groupes pour surprendre des conversations ; invariablement tous se taisaient et se séparaient. L’inquiétude grandissait en moi car je ne pouvais plus recueillir les informations qui m’auraient peut-être permis d’agir. Dans cette atmosphère pesante, j’appréhendais chaque nouvelle rencontre avec la grand-mère d’Anaïs qui me regardait avec des yeux si tristes que je me retenais de pleurer. A n’en pas douter, elle savait !

Le piège se mit alors en place sans que je m’en aperçusse. Bousculée puis encerclée par un groupe de garçons déterminés, je criai à Anaïs de m’attendre ; elle me répondit en riant :

« - Nous nous retrouverons tout à l’heure ! »

Je me débattais si bien que je réussis à me libérer et courut rejoindre Anaïs, espérant malgré tout que je pourrai intervenir. Dans ma tête, résonnaient sans arrêt les mêmes mots :

« Trop tard ! »

Le petit groupe mal intentionné, Martin en tête, m’attendait en ricanant à l’entrée du camp.

« - Tu vas rejoindre la romanichelle ? »

Sans répliquer, je continuai mon chemin et grimpai dans la roulotte où mon insouciante Anaïs m’attendait en souriant alors que la vieille dame nous contemplait d’un air désolé.

Le lendemain, à l’école, les moqueries et les tracasseries sans fin commencèrent. Mon amie comprit enfin de quoi je voulais la protéger. Ce soir-là, elle ne voulut pas que je l’accompagne ; elle me regarda si intensément que je sentis, qu’à sa manière, elle me disait adieu ; puis elle m’embrassa et s’enfuit ; une certitude me serra alors le cœur : je ne la reverrais plus !

Je retournai pourtant au campement pour m’apercevoir que plus rien ne subsistait de la présence des gitans.

Je rentrai chez moi en sanglotant, sachant que cette page heureuse de mon enfance était définitivement tournée. Aussi, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir sur le seuil de ma porte, la jolie figurine d’une fillette tenant dans ses bras un lapin, l’émouvant adieu de mon amie Anaïs !

Date de dernière mise à jour : 31/10/2021

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