Citation : " (...)Viennent ensuite les nourrices (images de la terre nourricière), assises dans un fauteuil d'osier et allaitant  un ou deux enfants. Ce "lien du lait" est unique dans l'Occident romain, et typiquement gaulois." 

Maurice Franc "Les figurines de terre blanche de l'Allier" Bulletin de la Société d'Emulation du Bourbonnais, 1er trimestre 1990

POMMAT Tanaïs : Ma petite Louise

En 2021, le jury du Concours de Nouvelles d'Avermes

a classé ce texte intitulé

Ma petite Louise,

écrit par Tanaïs POMMAT

à la 8e place.

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Ce texte est la propriété exclusive de TanaïsPommat.

Nulle utilisation n'est autorisée sans son accord préalable

Texte de Tanaïs POMMAT

 

Ma petite Louise

 

Nous étions le 12 décembre de l'année 1974. Le givre avait recouvert les vitres et dehors des flocons tombaient en liesse. La pièce était jonchée de détritus et de bouteilles vides, des relents d'alcool émanaient du tapis sur lequel trônait une vieille table basse.

Louise se réveilla sur le sofa, complètement engourdie par la bouteille de vodka de la veille et le froid ; la bûche dans la cheminée s'était totalement consumée.

Elle alla prendre une douche dans l'optique de se réchauffer et de faire taire le martellement incessant dans son crâne. C'est à ce moment-là que le téléphone sonna, elle ne répondit pas et écouta  le message vocal qu'après s'être vêtue. Son interlocuteur et ancien collègue, l'inspecteur Lenoir, sollicitait sa présence sur une affaire de meurtre et la priait de venir rapidement sur la scène de crime à l'adresse en question.

Voilà bien longtemps qu'elle avait raccroché sa plaque, peu de temps après le dernier meurtre et la mise en garde à vue de l'archéologue qui avait dirigé le chantier de fouilles gallo-romaines. Mais, faute de preuves, il n'avait pas été inquiété et l'affaire avait été classée sans suite... A l'époque elle était tellement convaincue de la culpabilité de cet homme, tous les indices convergeaient vers lui :  les dates auxquelles il avait été présent sur le chantier correspondaient à celles des meurtres et il avait été fiché dans sa jeunesse pour exhibitionnisme. Elle y avait tellement cru qu'elle avait fini par  en perdre son emploi d'inspectrice.

Il était 9h 17 lorsqu'elle gara sa Golf Volkswagen rouge en périphérie du champ, la scène de crime avait déjà été délimitée par des banderoles. Lenoir vînt à sa rencontre en la remerciant d'être venue, persuadé que l'aide qu'elle pourrait leur apporter serait précieuse. La terre blanche argileuse du champ collait à ses bottes. Et elle savait au ton de la voix de son ancien partenaire que cette affaire avait un lien avec les deux meurtres sur lesquels elle avait été référé à ses débuts.

Une petite fille, inerte, roulée dans une couverture, voilà ce qu'elle découvrit ce matin-là ; elle fut prise d'un frisson.

Elle examina chaque détail mais elle savait d'avance que tout serait identique aux deux meurtres  précédents. Et son pressentiment fut confirmé par le médecin légiste : la petite Margot avait été  portée disparue il y a deux ans de cela, avait subi les mêmes sévices et comportait les mêmes  carences alimentaires que les deux autres enfants.

En rentrant elle s'arrêta au poste et demanda à ce qu'on lui apporte les pièces à conviction. Assise au bureau de son ancien partenaire elle les passa en revue puis s'arrêta sur un objet qui avait été retrouvé dans la poche du sweat-shirt de la victime,  c'était une petite statuette de terre blanche représentant une fillette tenant un lapin dans ses bras. Une identique avait été retrouvée sur chacune des gosses. Louise fut prise d'un vertige, elle connaissait cette statuette-là, elle en était sûre, mais où l'avait-elle déjà vue hormis sur les victimes ?  Elle passa le reste de la journée à enquêter seule, reprenant toutes ses notes et dossiers sur l'affaire.

Louise attrapa ses clefs de voiture et partit faire un tour à travers la campagne, des hypothèses  affluaient dans son esprit. Après avoir parcouru une quarantaine de kilomètres elle bifurqua à droite et s'arrêta chez ses parents.

Elle détestait cette maison signe d'une enfance gâchée et de parents absents. Elle y mettait rarement les pieds mais aujourd'hui, elle s'y était rendue dans l'optique de faire du tri pour se vider l'esprit. Son père avait été emporté par un cancer généralisé peu de temps avant que Louise ne perde son poste.

 La grosse serrure émit un bruit sourd quand elle y introduit sa clef. Dans le hall, ses yeux s'arrêtèrent sur une photo, au creux du cadre rose. Suzanne et elle apparaissaient vivantes et souriantes auprès de leur mère.

Suzanne avait 10 ans quand un soir elle ne rentra pas de l'école, elle avait été retrouvée quelques jours plus tard, noyée dans un cours d'eau en amont. L'enquête avait piétiné, puis sa mort avait été classée accidentelle.  Depuis, plus d'une décennie s'était écoulée. Suite à la perte de sa plus jeune fille leur mère était allée mettre fin à ses jours à l'endroit même où Suzanne avait péri.

 Suite à tous ses événements Louise avait abandonné la comptabilité pour rentrer à l'école de police et honorer la mémoire de Suzanne.

Elle monta l'escalier en chêne pour se rendre dans la chambre de sa sœur. Elle se sentait si seule, le décès de Suzanne avait laissé un vide que rien n'avait jamais réussi à combler. Dix ans après, seul l’alcool anesthésiait momentanément sa douleur.

En balayant la pièce du regard, ses yeux furent attirés par une planche du sol légèrement soulevée, elle s'accroupit et tira dessus laissant apparaître la cachette de sa sœur. Elle sortit précautionneusement les objets contenus à l'intérieur. Louise prit alors conscience où elle avait déjà vu la statuette quand sa main en saisit une, identique à celle retrouvée hier sur la victime ! Comment une telle coïncidence pouvait-elle être possible ?

Elle se mit à lire le petit journal à la couverture en cuir craquelé : des histoires de filles, de jeux, des anecdotes sur l'observation d'animaux, des interrogations sur la vie… Les pages suivantes  tranchaient sordidement avec le reste. Louise pleurait à la lecture des pages noircies par une écriture  longiligne racontant avec des mots d'enfant comment un homme avait abusé d'elle et lui avait ensuite remit la statuette en guise de cadeau. Les faits s'étaient produits à plusieurs reprises. Suzanne le connaissait, c'était sûr et elle en avait peur. Elle avait écrit qu'elle voulait en parler à « Lou » mais que l'homme avait menacé de faire du mal à sa famille s'il lui prenait l'envie d'en parler à quelqu'un.

Louise était effondrée, la rage et la culpabilité prenaient vie en elle. Comment ses parents  et elle avaient-ils pu être aussi aveugles face à sa détresse ? Il devait forcément y avoir des signes qui ne trompaient pas et qui auraient dû les alerter. Une chose était sûre, Suzanne avait un lien avec le tueur des trois fillettes et maintenant Louise allait retracer l'existence de sa sœur dans les moindres détails pour remonter la piste de ce prédateur.

Elle luttait pour ne pas se laisser submerger par ses émotions pendant son investigation.

En dehors de l'école, Suzanne ne voyait que peu de monde.

 Ceci dit, après la classe elle participait à un tutorat d'aide aux devoirs pour les plus jeunes ce qui l'obligeait souvent à rentrer sans ses camarades du voisinage. A l'époque c'était une institutrice qui depuis avait pris sa retraite.

Ensuite il y avait ses cours de catéchisme avec le curé de la paroisse. Et l'épicier qui avait ramené Suzanne chez elle, plusieurs fois en hiver lorsque la nuit tombait.

Les roues de la petite auto rouge laissèrent des marques sur l'asphalte lorsque Louise pila sur la place du village. Elle entra dans l'église et prit place sur un banc devant l'hôtel, le curé passa et ouvrit un vieux meuble en ébène qui se situait sur la gauche de là où Louise se trouvait, et, juste à droite des bougies se tenaient fièrement une poignée de figurines identiques à celles retrouvées sur les scènes de crimes. Louise passa sa main sous son pull à l'arrière de son jean et sentit le contact froid et rassurant de son Beretta 76. Elle était partagée entre l'envie d'obtenir des aveux et de mettre fin immédiatement à la vie de cette ordure. Quand le vieil homme se retourna, il ne comprit pas la situation, Louise brandit son arme sur le front du curé. Celui-ci se mit à la supplier, lui demandant des  explications... Les larmes aux yeux, elle lui confia la tournure de l'enquête. Il comprit le rapprochement qu'elle avait fait et les deux mains jointes devant son visage il l'implora de l'écouter. Les figurines lui venaient de l'oncle de Louise, il était venu lui offrir un jour en remerciement de la messe donnée pour Suzanne. Louise l'interrogea sur cet oncle dont elle ignorait l'existence. C'était un commercial qui se déplaçait beaucoup et qui parfois revenait se reposer ici dans une maison dont  il avait hérité.

Au fil du paysage bordé de vignes et de champs, des souvenirs lui revenaient tantôt l'un de sa mère hurlant auprès d’un inconnu dans la cour de leur maison, elle avait vu cette scène depuis la fenêtre de sa chambre, son père sortant fusil à la main lui demandant de ne pas revenir  qu'il ne faisait en rien partie de leur famille, qu'ils ne voulaient plus le voir suite à ce qui s'était passé...

L'étau se resserrait inexorablement autour de cet individu, mais avant d'agir Louise voulait être sûre. Un coup de fil à Lenoir pour obtenir son adresse et le lien serait fait.

Quand l'inspecteur la rappela, le lien était établi : l'homme qui s'avérait être l'oncle de Suzanne et Louise, était présent professionnellement sur chaque lieu de rapt. Elle était convaincue que cela n'était pas une simple coïncidence. De plus une autre fillette venait de disparaître !

Quand elle gara son automobile devant le vieux portail en fer forgé, son cœur s'arrêta : elle se souvenait être venue ici enfant. Elle rentra par effraction dans le pavillon. Les cadres au mur révélaient le visage de l'homme qu'elle avait vu cette nuit-là dans leur cour. Tout tournait autour d'elle et elle vomit sur le plancher. Elle pensait à la fillette disparue qui se trouvait certainement ici et elle se força à se remémorer davantage de choses qui pourraient la mener sur des indices.

 La maison possédait un sous-sol ! Elle en était certaine. On y accédait par une trappe cachée sous le tapis de la table à manger. Le frère de sa mère l'y avait fait descendre à plusieurs reprises. C'était une cave normale, mais la grande armoire contre le mur humide l'intriguait. Quand elle tâtonna le fond, il coulissa laissant apparaître l'entrée d'une pièce lugubre sans fenêtre avec une porte entourée de photos obscènes : elle y reconnut les victimes, sa sœur puis sur une, beaucoup plus ancienne qui commençait à craqueler elle se reconnut.

Le choc la fit vaciller et elle se dirigea vers une porte avec un digicode. Sans hésiter elle dégaina son Beretta et tira en plein sur le boîtier. Des petits éclairs s'échappèrent de la boîte qui venait d'être court-circuitée, déverrouillant ainsi la porte et laissant apparaître une fillette apeurée. Louise la rassura et ôta son blouson de cuir pour couvrir la gamine, elle la prit dans ses bras puis jeta un coup d’œil à la pièce.

Elle devait faire vite et l'enfant pesait lourd, Louise la posa à terre et referma la trappe derrière elles. La petite tirait sur le bas de son pull en pleurant tandis qu'elle remettait le tapis en place. Elle se retourna et se retrouva face à son oncle qui lui souriait. Il ouvrit la bouche et lui dit :

« Ma petite Louise, enfin nous nous retrouvons ! Je  pensais que tu ferais rapidement le lien entre les statuettes et moi… Après tout, quand tes parents te confiaient à moi, nous faisions aussi de la poterie. Eh oui ces petites figurines c'est toi et moi qui les avons faites ».

 Louise le regarda interloquée, elle pensait à son enfance, à Suzanne et aux victimes… Elle prononça du bout des lèvres :

 « - Pourquoi ?

- Pour combler ton absence et le vide que tu avais laissé en moi Louise ».

 A présent elle s'en voulait : comment son esprit fragile avait-il pu annihiler les choses qu'il lui avait fait subir si horribles puissent-elles être ? Elle culpabilisait de ne pas avoir fait plus vite le lien.

L'homme devant elle riait aux éclats et la petite qu'elle maintenait serrée derrière son dos sanglotait, elle était pétrifiée et une flaque d'urine s'était répandue le long de sa jambe.

Soudain il fit un pas en avant tentant d'atteindre l'enfant. Sans hésiter Louise se retourna, sortit son arme et la brandit sur son oncle. La petite fit tomber la statuette de terre cuite qu'elle tenait contre elle au moment où le coup de feu partit. Elle se brisa au sol emportant avec elle la vie de cet homme...

Date de dernière mise à jour : 24/10/2021

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