Citation : " (...)Viennent ensuite les nourrices (images de la terre nourricière), assises dans un fauteuil d'osier et allaitant  un ou deux enfants. Ce "lien du lait" est unique dans l'Occident romain, et typiquement gaulois." 

Maurice Franc "Les figurines de terre blanche de l'Allier" Bulletin de la Société d'Emulation du Bourbonnais, 1er trimestre 1990

Ménana Christiane

Ce texte de Christiane Ménana a obtenu

la 4e place

du Concours de Nouvelles 2019

organisé à Avermes (03000) conjointement par

La Passerelle (médiathèque d'Avermes)

et

L'Atelier Patrimoine de l'Avca.

Mg 8951

Photo : Dominique Boutonnet

 

Ce texte est la propriété de son auteur.

Aucune utilisation ne peut être envisagée

sans avoir obtenu au préalable son accord.

 

 

Un texte de Christiane Ménana

 

 

 

L’île du Bienheureux

 

Un été caniculaire s'éternise sur la petite place blanche écrasée de soleil. Des enfants turbulents s'amusent à jeter des cailloux vers un jeune homme assis paisiblement à l'ombre d'un figuier. Soudain, le voici qui se lève et s'enfuit par les ruelles tortueuses entraînant dans son sillage les gamins qui piaillent comme une nuée de moineaux. La proie qu'ils pourchassaient, plus agile qu'eux, a fini par les distancer. Tout penauds d'avoir perdu sa trace, ils regagnent leur foyer et le giron de leur mère comme de braves petits qu'ils ne sont pas. Au-dessus du vieux volcan s'élève, depuis quelques heures, un champignon de fumée qui encrasse l'azur de cette belle journée. Personne ne s'en inquiète.

Une fois encore les pierres ont volé non loin de la tête d'Ilithios. « Ils finiront bien par m'avoir un jour ces maudits enfants » bougonne-t-il.

Cailloux, railleries, et autres quolibets, il en a souffert plus que sa part au cours de sa jeune vie. Au début, il n'a pas saisi la raison de tant de haine envers lui car, doux et serviable, il n'aurait pas su faire de mal à une mouche. Il ne se distinguait en rien des autres petits si ce n'était déjà sa grande beauté et son trop bon cœur. Bien sûr, il lui fallait plus de temps qu'aux autres enfants de son âge pour comprendre et accomplir les gestes simples de la vie. Sa lenteur attisait les moqueries. Faire accepter la différence est la chose la plus difficile au monde. Ces villageois de l'antiquité ne dérogent pas à la règle et le mettent à l'écart, lui reprochant d'avoir le mauvais œil.

« Toi, tu ne nous ressembles pas avec tes yeux clairs et ta toison d'or. Tu n’es pas d'ici, va-t'en ! » lui lancent-ils à tout propos

« Innocent, répètent devant lui, sans se gêner, sa propre mère, sa famille, tout le village, comme s'il était sourd, oui, Ilithios n'est rien qu'un innocent ».

Les mots empoisonnés lancés à son encontre lui percent le cœur comme le feraient des flèches acérées. Innocent, bien sûr que je suis innocent, de quoi devrais-je être coupable ? s'étonne-t-il.

Ilithios est la candeur et la pureté personnifiées. Sur cette île, depuis longtemps le vice, la violence, la jalousie règnent en maître. Un sous-homme, moins qu'une bête de somme, voilà ce que représente pour eux tous ce garçon à l'esprit simple.

IL dégringole les marches menant au petit port d'Akos où est amarré la barque de son grand ami. Les pierres du chemin égratignent ses pieds nus mais que lui importe, il est pressé de retrouver Spyros le marin. Il est le seul à ne pas lui parler comme à un attardé mais comme à un homme de son âge. Le vieil homme, pipe à la bouche, remaille ses filets. Il aime l'écouter narrer ses aventures de jeunesse lorsqu'il bourlinguait sur les mers du monde. A l'en croire il existerait des pays merveilleux où les hommes s'aiment, se comprennent. La haine, la faim, la misère sont des mots inconnus. Les humains vivent en frères entourés d'animaux domestiqués, dans une nature luxuriante. Spyros lui montre de son gros doigt calleux la direction pour s'y rendre.

« Là-bas, dit-il, au-delà de l'horizon, où le soleil sombre chaque soir en embrasant la mer de ses flammes ardentes »

Le jeune homme ne se lasse jamais des récits plus rocambolesques les uns que les autres dont Spyros est le héros. Les dieux de l'Olympe jouent toujours un rôle avantageux. Le marin se présente comme initié aux grands secrets de l'univers et ami de Zeus, te dieu des dieux. Ilithios est très impressionné par la prédiction que lui confie son ami. Leur île, Atlantis, à force de vice et de turpitude provoque le courroux de Zeus. Au comble de la fureur, celui-ci menace de causer, un jour prochain, sa perte en la faisant disparaître à jamais sous les cendres, les flots et les larmes. La fin de leur monde sera terrible. Les hommes l'évoqueront avec crainte de génération en génération, pendant des siècles, conservant ce mystérieux cataclysme en mémoire. Seuls les cœurs simples pourront en réchapper.

Comme Ilithios aimerait ressembler à son vieil ami et naviguer loin d'ici ! Mais, à bientôt vingt ans, il est jugé incapable, bon à rien, un boulet pour les siens. Ii saurait tenir la barre, manier les voiles. Il a vu faire Spyros de nombreuses fois, et si un soir... il se laisse emporter par son imagination débordante. Il a rêvé tant de fois de ce périple par-delà les océans. Le bleu de la mer Egée qu'il contemple depuis vingt ans ne lui suffit plus. S'il demeure encore longtemps sur cette île de malheur, Il pourrait bien en mourir.

Une désagréable surprise l'attend alors qu'il retourne chez lui, à la nuit tombée. Un groupe de villageois menaçant, armé de bâtons lui coupe le chemin. « Pourquoi m'attendent-ils à une heure pareille ? pense-t-il, ils s'en prennent toujours à moi lorsque leurs chèvres ont été volées ou lorsque le feu ravage les récoltes. Seul contre trente, les lâches, mon compte est bon ». Il tente maladroitement de se protéger la tête des coups qui lui sont assénés. Toute la haine d'un village, accumulée depuis vingt ans, s'abat en torrent sur lui, victime expiatoire d'une faute qu'il ne connaît pas. Ii peine à garder les yeux ouverts car le sang ruisselle sur son visage. Dans sa semi conscience, Ilithios s'étonne du bien-être que lui procure cette fraîcheur soudaine. Se pourrait-il qu'il se trompe et que ce qu'il pense être du sang ne soit que de l'eau ?

Ii pleut. Cela ne s'est pas produit depuis des mois sur ce sol grec trop aride. Le vent se lève brusquement et ses violentes bourrasques coupent les élans de violence des assaillants qui prennent la fuite. Le sol bouge et bascule sous le corps meurtri de leur victime. Cette terre va s'entrouvrir pour l'engloutir à jamais et le conduire auprès de Caron qui attend pour traverser le Styx. Ilithios se sent partir dans ce déluge de feu et d'eau, sous les grondements farouches des cieux et de la terre. C'est donc cela la mort, pense-t-il en fermant les yeux.

Ilithios n'a pas rejoint les Enfers comme il 1e suppose. Son corps gît en piteux état dans un fossé, non loin du port où son ami Spyros le découvre inconscient. En dépit de son grand âge et des éléments déchaînés, il le traîne péniblement jusqu'à son embarcation, prête à chavirer sous les assauts des vagues. Le volcan en éruption projette des gerbes de feu qui atteignent déjà la mer. Dans le fond du bateau, le jeune homme ouvre las yeux et découvre, horrifié, l'ampleur du sinistre. La seule échappatoire face au brasier consiste à lever l'ancre au plus vite avant que la côte toute entière ne s'embrase. Spyros, en habile marin grec louvoie entre les scories du volcan et les sournois écueils pour sortir sans dommages du port en feu. Les cris de terreur et supplications arrivent jusqu'à eux mais il est trop tard, ils s'éloignent déjà au large. Quelques heures après, il ne subsiste rien de ce que fut Atlantis. La mer s'est refermée sur l'île à tout jamais. Les deux hommes restent les seuls rescapés de ce désastre.

Le soleil darde ses rayons implacables sur eux depuis plusieurs jours. La mer est redevenue d'huile comme si rien ne s'était produit mais aucune terre ni aucun bateau n'apparaissent à l'horizon. La situation s'avère critique lorsque les vivres viennent à manquer et que la grand-voile est endommagée. Comment continuer la traversée à présent ? Les deux naufragés dérivent. Spyros, très âgé, donne des signes de grande fatigue et pressent que sa fin approche. L'avenir de son jeune compagnon le préoccupe

« Saurais-tu prendre la barre à ma place Ilithios ? le questionne-t-il un soir, mon temps de rejoindre Hadès aux Enfers est venu. Je vais te montrer la manœuvre une ultime fois. Confiance ! tu sauras sortir de ce mauvais pas.

Le vieux marin vient de s'éloigner à jamais sur la barque de Caron, laissant Ilithios face à sa destinée. Après quelques balbutiements, il reprend la barre et se laisse guider aux cieux par l'étoile Sinus comme son ami lui a montré.

Au matin, Ilithios est réveillé par d'étranges petits rires. Il est seul mais, à bâbord, un groupe de dauphins frétillent joyeusement en se rapprochant de la coque. L'un d'eux se laisse caresser sur le rostre, Le jeune marin s'adresse à lui comme à un ami à qui il avouerait son grand désarroi

« Dauphin, ami du grand Poséidon, je suis perdu sur ces eaux immenses. Toi qui parcours les océans et en connaît tous les détours, aide-moi, je t'en prie, pour trouver un havre afin de m'y reposer. »

Le banc de poissons ému par ces paroles s'éloigne pour tenir conseil. Leur chef, le grand dauphin argenté s'avance ensuite et prend la parole

« Ilithios nous savons que tu es un cœur pur. Poséidon nous a chargé de te venir en aide si tu le demandais. Nous te mènerons dans le pays où vivre est une fête. Approche-toi du bord, attrape mon aileron avec ta main et installe-toi confortablement sur mon dos car la route sera longue »

Ilithios chevauche le dauphin d'argent. Le voyage dure de longs mois. Cet étrange escadron de dauphins traverse les mers du globe et longe les côtes des pays dont rêvait le jeune homme. Installé paisiblement sur le dos du dauphin, le voyageur parvient un beau soir sur les rives de son nouveau pays. Spyros avait dit vrai, il est bien tel que Spyros lui a décrit. Ce pays ne possède pas de nom, ses habitants se contentent de le nommer « terre où vivre est une fête ». L 'accueil reçu par Ilithios est digne d'un prince revenant chez lui après une trop longue absence.

 

Dans les îles grecques des Cyclades, les anciens racontent encore l'histoire du jeune Ilithios, simple d'esprit qui fut sauvé du cataclysme d’Atlantis par les dieux de l'Olympe et l'intervention miraculeuse des dauphins. Cela se passait il y a fort longtemps, bien avant Pendes et le grand Alexandre. L’île se dore au soleil au large des côtes africaines et porte le nom d’«11e du bienheureux » en I' honneur du jeune homme qui en devint le prince. Si vous avez l'occasion un jour de croiser près de l'île du bienheureux, prenez le temps de vous arrêter sur la jolie plage du grand dauphin. Sur une petite place ornée de palmiers, vous apercevrez une statue de pierre blanche à l'effigie d'Ilïthios le bienheureux voguant sur le dos du dauphin d'argent. Les gens du pays connaissent tous la légende. Certains vous diront même qu'ils descendent d'Ilithios le jeune grec. On pourrait presque les croire en contemplant leurs yeux clairs et leur toison d'or.

 

FIN

 

 

Ajouter un commentaire