Citation : " (...)Viennent ensuite les nourrices (images de la terre nourricière), assises dans un fauteuil d'osier et allaitant  un ou deux enfants. Ce "lien du lait" est unique dans l'Occident romain, et typiquement gaulois." 

Maurice Franc "Les figurines de terre blanche de l'Allier" Bulletin de la Société d'Emulation du Bourbonnais, 1er trimestre 1990

Grellier Amandine

Ce texte écrit par Amandine Grellier a obtenu

la 11e place

au Concours de Nouvelles 2020

organisé à Avermes (03000) conjointement par

La Passerelle (médiathèque d'Avermes)

et

L'Atelier Patrimoine de l'Avca.

P1150591 rognee

Photo : Robert Lecourt

Affiche : Magali Soule

Ce texte est la propriété de son auteur.

Aucune utilisation ne peut être envisagée

sans avoir obtenu au préalable son accord.

 

Un texte de Amandine Grellier

 

 

Un souvenir refoulé

 

 

- Tenez Françoise, dit-elle à la nourrice de sa cadette, je vous rends ceci, Lucie m’a dit que c’était à Camille mais je n’ai jamais vu cela à la maison avant. Ça doit venir d’ici.

- Non, ces figurines ne viennent pas d’ici. Elles sont d'ailleurs bien trop fragiles pour être laissées entre de petites mains. 

- Ah bon, d’accord,

Il faut que je trouve d’où elles proviennent, c’est un véritable mystère, pensa-t-elle en fourrant les figurines dans la poche de sa veste puis elle fila au bureau. Elle eut vite fait de les oublier et n’y pensa que le soir. Ces jouets étaient jolis. Rien à voir avec les figurines en plastique coloré d’aujourd’hui. Avec son côté fétichiste, elle s’était même un peu attachée à eux. Elle se rendait compte qu’elle n’avait pas réellement envie d’en retrouver le propriétaire. 

En arrivant à la maison, elle décida d’en parler avec Camille. L’aînée de ses filles avait une imagination débordante et passait ses journées à inventer des histoires fabuleuses. C’était parfois à se demander si elle savait toujours différencier ce qui était réel de ce qui ne l’était pas. 

- J’te l’ai déjà expliqué ! Tu ne me crois jamais de toutes façons ! Je te le répèterai pas.

La porte de sa chambre claqua. Il lui fallait changer de stratégie. Elle frappa doucement. 

- Tu as raison, chérie... Hier, je ne t’ai pas vraiment écoutée... Accepterais-tu de me réexpliquer d’où viennent ces figurines ? 

- Du placard.

- Mais je ne les avais jamais vues avant.

- Moi non plus, mais samedi, j’ai entendu du bruit dans le placard et quand je l’ai ouvert, il y avait ces deux filles qui jouaient avec. Je ne comprenais rien de ce qu’elles disaient. D’ailleurs on aurait dit des garçons mais je sais que c’était des filles parce qu'elles portaient des robes. Quand elles m’ont vue, elles sont parties en courant à travers le mur. Elles ont emporté leurs jeux avec elles mais elles ont oublié ceux-là. Je les ai trouvés, ils sont à moi, …et Lucie me les a piqués. Et maintenant c’est toi qui veux me les prendre !

- Enfin, reconnais qu’elle est étonnante cette histoire. Tu dis que deux enfants jouaient dans le placard et qu’en partant ils ont traversé le mur ? 

- Oui, c’est ce que j’ai vu.

- Peux-tu me les décrire plus précisément ?

- Elles portaient une robe à manches courtes marron avec une ceinture en corde et des sandales en cuir. Leurs cheveux étaient bruns et bouclés, coupés courts. Elles se chamaillaient je crois, mais j’ai rien compris de ce qu’elles disaient. 

- Et elles avaient d’autres jouets comme ceux-ci ?

- Oui plein. Elles vont même pas se rendre compte qu’il en manque. Allez maman, je peux les garder ? S’il-te-plait ? 

- Je ne sais pas, j’ai quand même du mal à te croire. 

- Elles disaient des trucs bizarres “relinco, relinco” j’sais pas quoi “atendente”. J’te dis, elles parlaient pas français. Je sais pas d’où elles venaient ni où elles sont parties. Après, je les ai appelées mais rien. J’ai écouté et plus rien. 

Elle n’avait jamais aimé le latin mais ces mots triturés que venait de lui rapporter sa fille lui rappelaient ses anciens cours et il lui semblait bien entendre, “partons” et “attention”... Camille ne pouvait pas avoir inventé cela ! Tout cela lui paraissait de plus en plus étrange. C’était du délire. Elle se surprenait à croire à cette histoire de voyage dans le temps. Se pouvait-il qu’hier, des enfants de l’époque romaine se soient retrouvés à jouer dans le placard de la chambre de sa fille ? C’était tout simplement impossible.

Peu importait, elle pouvait bien questionner sa fille encore un peu. Elle lui montra donc une illustration d’enfants gallo-romains dénichée sur le net. La fillette reconnut en eux les enfants vus la veille et donna encore quelques précisions sur leur tenue et leur coiffure. 

Elle se sentait comme emportée par un vent de folie et accepta de s’y glisser quelques instants pour voir où cela pouvait bien la mener. Elle observa les figurines avec attention. Elles avaient l’air anciennes. Ce n’était pas du plastique. Ce n’était pas de l’ivoire non plus. De la terre cuite peut-être ? Elles étaient bien claires pour cela mais cela ne lui semblait pas impossible. Les détails étaient simples mais fins et une certaine grâce s’en dégageait. Plus elle les regardait, plus elles lui paraissaient authentiques et anciennes. Elles lui semblaient même vaguement familières.

Elle se lança donc dans des recherches un peu plus poussées. Elle tapa sur le moteur de recherche “figurine terre cuite blanche” et une foule de petites statuettes toutes différentes les unes des autres et pourtant tellement comparables à celles qu’elle avait entre les mains, apparurent à l’écran. Elle n’en revenait pas. Elle était en possession d’objets datant de presque 2000 ans ! Tout concordait, la description des enfants, leur langue et ces figurines. Tout la ramenait vers l’Antiquité gallo-romaine. En creusant un peu plus, elle découvrit l’existence de tels objets dans le village de son enfance, Vichy, où elle n’avait pas remis les pieds depuis près de 20 ans. Tel un coup de poing dans le ventre, tout son passé lui revint en mémoire.

Le parcours de saut, les juments magnifiques mais belliqueuses, la chute suivie du trou noir. Plus jamais elle ne revit sa famille. Plus jamais elle ne remit les pieds dans cette ville maudite. Le temps de la réconciliation avec son passé semblait arrivé.

De petits objets anodins venaient de l’y inviter.

La décision fut rapide à prendre. Le lendemain, elle déposa sa fille chez sa nourrice mais plutôt que de se rendre à son travail elle fila sur l’autoroute en direction de sa ville natale et de son passé. Les figurines au fond de son sac, elle avala les kilomètres et arriva, en fin de matinée, à destination.

Après s’être arrêtée prendre un café en terrasse, elle fila à la médiathèque. Elle aurait peut-être dû appeler avant. L’ancien historien ne serait peut-être plus ici. Mais il fallait qu’elle le voie, il fallait qu’elle lui montre ces objets et qu’il lui donne son avis. 

Elle poussa la porte de la médiathèque et se retrouva plongée vingt ans en arrière. Elle longea le linéaire de romans. Tout y était encore intact, les odeurs, la lumière, les sons feutrés. Elle passa par le rayon Histoire et Archéologie. Elle reconnut les couvertures de quelques livres qu’elle avait, jadis, si souvent explorés. Et soudain, elle l’aperçut, le dos voûté, les cheveux grisonnants et hirsutes sur sa tête un peu plus dégarnie. Il lui tournait le dos, il ne l’avait pas entendue. Son cœur accéléra. Cela faisait si longtemps... Comment allait-il réagir ? Allait-il la reconnaître ? Se mettrait-il en colère ? 

- Bonjour

Avec un léger sursaut, il se retourna :

- Excusez-moi, je ne vous avais pas entendue arriver. 

Son regard se posa alors sur elle, il se figea un instant. 

- Ma chérie, tu es revenue. 

Il la prit dans ses bras et la serra, longtemps, longtemps. Les secondes s’écoulaient, les larmes aussi. Les souvenirs de cette journée tragique se bousculaient dans leur mémoire.

Ce jour-là, elle était partie à cheval, comme tous les dimanches, pour sauter quelques obstacles. Sa petite sœur avait voulu la suivre. Elle avait accepté à contre-cœur car elle n’avait aucune envie de s’occuper d’elle.

Le premier saut s’était bien passé, le second aussi. Elles prirent confiance et sautèrent encore un obstacle ou deux.

Tout était allé très vite. La chute, la bousculade, les embardées, les chevaux partant dans une course folle. Elle ne maîtrisait plus sa jument et elle avait fini par chuter, elle aussi, et resta quelques instants, assommée au sol. A son réveil, les secours étaient là. Une tension forte pesait. Les deux juments avaient disparu. Une agitation grave planait autour de l'endroit où sa sœur avait chuté. C’est alors qu’elle vit les larmes de sa mère et qu’elle comprit que le pire venait d’arriver. Elle se mit à hurler, hurler, encore et encore. 

Les émotions étaient encore si vives, comme si tout cela était en train de se dérouler, là, sous leurs yeux, derrière leur rideau de larmes.

- Je suis désolée, dit-elle enfin.

- Ce n’était pas ta faute. Nous ne t’en avons jamais tenue pour responsable. Je suis heureux que tu sois enfin revenue.

- Papa, si tu savais comme elle me manque.

- Elle nous manque aussi, chaque jour. Toi aussi tu nous as manqué tout ce temps.

- Je ne pouvais pas, je m’en voulais tellement. 

Ils s'installèrent à une table et parlèrent des heures durant. Ils avaient tant de choses à se dire, tant de temps à rattraper.

Enfin, elle lui raconta ce qui l’avait poussé à revenir et lui montra les figurines. 

- Comme c’est étrange dit-il, voilà dix jours que ces objets ont disparu de la vitrine à l'entrée de la médiathèque ! Aucune trace d’effraction n’a été relevée. Ils semblaient s’être tout simplement volatilisés. 

Etrange, effectivement, c’était comme si ce cavalier et son compagnon étaient venus lui dire qu’il était temps de se pardonner et de vivre, enfin, sa vie.

Date de dernière mise à jour : 16/11/2020

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